Je m’appelle Louise, j’ai 25 ans et je vis à Paris. Dans cette newsletter, une sorte d’essai à la fois intime et documenté, j’essaye de comprendre des choses sur moi et le monde qui nous entoure. Bonne lecture !!
Coucou tout le monde !!
J’espère que vous allez bien !
Moi, depuis quelques semaines, je passe du rire aux larmes et de la joie à la mélancolie. Je sens parfois les battements de mon coeur s’accélérer et je tente, en vain, de les calmer avec de grandes inspirations (je me suis beaucoup reconnue dans les dessins de Tara Booth sur l’anxiété). Samedi dernier, je suis allée voir Starmania en famille et j’ai fondu en larmes à la fin du spectacle. Le lendemain, j’ai passé la journée chez mes parents - petite régression pas tout à fait anodine. Vers midi, j’ai senti un poids dans ma poitrine et j’ai tenté de me distraire dans la petite valse automatique de la préparation du déjeuner. Mais on a commencé à manger et je n’ai pas tardé à lâcher, d’une petite voix : “Maman, je crois que je suis un peu déprimée”. Environ 3 secondes plus tard, je pleurais comme une madeleine.
L’entrée brutale dans l’hiver n’est sans doute pas pour rien dans ce petit coup de blues, mais elle n’est pas la seule raison. A ma mère, j’ai tout déballé en vrac : l’indépendance qui me pesait, le sentiment d’insécurité à tous les niveaux, la sensation de me noyer dans un verre d’eau. Ma mère m’a répondu que j’étais, selon elle, quelqu’un qui avait besoin de sécurité et qui faisait des choix incluant beaucoup d’insécurité. Et puis, je m’étais lancée toute seule, “from scratch”, ce qui n’était pas le choix le plus facile. Evidemment, la suite ne m’a pas trop inspirée : peut-être était-il temps que je me trouve un vrai boulot comme tout le monde ?
Je suis rentrée chez moi en fin d’après-midi, très confuse. Je suis sortie du métro quelques stations en avance et une fois dehors, j’ai appelé mon ami Charles. Charles, c’est un peu mon “Robin des Bois”, l’ami sur qui je peux compter dans les moments de détresse et qui se révèle toujours d’excellent conseil dans les moments de crise. Ce soir-là, il est venu dîner à la maison et au fur et à mesure de notre discussion, le brouillard s’est dissipé.
La vie en roue libre
Une part d’angoisse est inévitable dans la vie. “L’angoisse est le vertige de la liberté”, écrit le philosophe Kierkegaard dans Le Concept de l’Angoisse. Je n’ai pas lu son essai mais la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury le cite dans un article du numéro Comment sortir de nos angoisses ? du journal Le 1, où elle rappelle que l’angoisse est indissociable de l’expérience d’un sujet libre.
Kierkegaard est le penseur qui a donné ses lettres de noblesse à l’angoisse : l’être humain expérimentant par l’angoisse ce que serait la liberté, qui est d’abord un vertige. (…) La notion d’angoisse suppose que l’on ait fait un pas dans la compréhension de la finitude humaine : d’une part, en s’autorisant un jugement sur la vacuité de la vie et, d’autre part, en imaginant la possibilité d’un libre-arbitre. Chez Kierkegaard, elle n’est pas une défaillance. Elle est la manière dont un sujet se positionne dans le monde : le sujet n’accède à son propre sujet que par la traversée de l’angoisse qui est existentialiste. Elle est au fondement même de la subjectivité humaine. Être pleinement un sujet suppose de faire l’expérience profonde de cette angoisse.
Ce privilège de la liberté, et donc de l’angoisse, c’est aussi sur ce quoi insiste le philosophe Charles Pépin dans Peut-on vraiment choisir sa vie, un très bel épisode de son podcast.
Angoisse et liberté vont ensemble ! N’ayons pas peur de l’angoisse. Il faut un temps pour tout : un temps pour être angoissé, parce que je n’arrive pas à trancher. Et un temps pour pour trancher et ainsi se libérer de cette difficile angoisse. Sartre écrit dans L’être et le néant : “l’angoisse est la saisie réflexive de la liberté par elle-même”. L’angoisse nous dit que je peux orienter ma vie. On serait pas angoissé si on était pas complètement déterminés, si il y avait aucun enjeu, si on ne sentait pas le poids de sa liberté.
Mais à un niveau qui dépend de chacun, la liberté devient paralysante. Avec mon ami Charles, j’ai réalisé que je manquais d’objectifs et de contraintes. A un moment, je lui ai dis que “tout ça” était peut-être “trop ambitieux”. “De quoi ?”, m’a-t-il répondu, et je n’ai pas su lui répondre. Cet échange a fait écho à la question d’un autre ami il y a quelques mois : “bon, c’est quoi tes goals ?”. J’avais esquivé, sceptique et au fond désemparée par cette question qui me faisait ressentir un vide désagréable. Peut-être attendait-il un nombre de lecteurs - objectif chiffré qui ne me parle pas - peut-être s’agissait-il d’une question plus profonde à laquelle je ne pouvais pas répondre en 10 secondes.
Mon objectif, en gros, c’était “essayer d’écrire”. Vous l’aurez compris, on est loin de ces objectifs SMART (“spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes et temporels”), dont j’ai entendu parler des dizaines de fois en école de commerce. Alors en rejet complet, exaspérée par les conseils de startuppeurs et ces acronymes à n’en plus finir, il ne m’est jamais venu à l’idée d’appliquer ces conseils. J’avais envie d’écrire parce que je ressentais l’envie sincère de mettre des mots sur mes expériences, mes émotions et mes intuitions, et pour que cette démarche reste honnête, j’ai cru qu’elle devait rester libre et spontanée.
Ma vision de la création, elle était parfaitement résumée par le propos de la romancière et dessinatrice Rachel Eliza Griffiths dans cette interview :
I create things every day but it’s not about everything having to be a product or for somebody else’s experience. I would like to believe that my inner life is a spectrum of progressive transformations and experiments, rather than overly transactional. For me, creating and sustaining a private space where I allow myself to rest, to read, to cook, to play music, and to risk new turns of language and imagery where I have no idea how to be wrong or right, is part of the calling.
Après l’école, alors que je décidais de me consacrer à des projets plus personnels et créatifs, je me suis émancipée de tous types de contraintes. Et je ne suis apparemment pas la seule à avoir eu ce fantasme de liberté : dans sa newsletter #78 : In defense of burdens, Haley Nahman évoque le passage à vide qu’elle a traversé quand elle a quitté son poste de journaliste chez Man Repeller pour créer sa newsletter indépendante - une période où elle a commencé par éliminer, une par une, toutes les contraintes qui cadraient sa vie de salariée (et encore, elle a eu la sagesse de garder un certain rythme de publication). Mais après avoir ainsi fait le vide dans sa vie, elle a commencé à se sentir déprimée et démotivée.
After quitting my full-time editing job in March 2020 and starting this newsletter, I’d carefully designed my life to maximize my own flexibility, and thus, I thought, my happiness. Over the course of that first year, I did away with every constraint I could think of, one by one: the 9-5 schedule, the morning alarm, the underpaid freelance work, the negative online comments, the non-stop pressure of non-stop pitching. Even my newsletter, which was rigid in its schedule, was otherwise loose and undefined in its aims, no longer driven by clicks. They were the kinds of changes many people dream of making, if only they had the resources.
Tout ça a aussi à voir avec l’éducation que l’on reçoit, et je ne peux pas dire que la discipline et l’ambition soient des valeurs très présentes dans ma famille. C’est aussi une histoire de personnalité : je suis plutôt du genre rêveur, hédoniste, impulsif, un peu instable émotionnellement. Je m’écoute beaucoup et j’ai tendance à prendre mes décisions au coup de coeur, à l’envie, à l’intuition. Enfin, je suis assez indécise et comme “choisir c’est renoncer” et que l’herbe a toujours l’air plus verte ailleurs, j’ai du mal à m’engager. Se fixer des objectifs peut paraître simple, mais la démarche implique de choisir, au moins à court terme, la personne que l’on a envie d’être - une version qui me semblera toujours réductrice par rapport à tous les possibles qui sommeillent en chacun de nous. “I am not one and simple, but complex and many”, écrit Virginia Woolf dans son roman The Waves. Devenir quelqu’un, c’est aussi la question que pose la philosophe Adèle Van Reeth dans l’introduction d’un épisode des Chemins de la philosophie consacré à Nietzsche :
Au fond pourquoi devrions-nous être quelque chose ou quelqu’un ? Pourquoi ne pas se concevoir en mouvement perpétuel, tantôt ceci, tantôt cela ? En perpétuel devenir, un être de transition qui préfèrerait les affres du changement au confort de sa stabilité ? Être ou ne pas être quelqu’un : telle est la question qui mérite d’être posée.
Si cette question vaut le coup d’être posée, en attendant on ne peut pas dire que le manque de cadre, de règles et de contraintes me réussisse. Déjà, je me retrouve face à beaucoup trop de choix, à un gouffre de liberté qui n’est pas propice à la tranquillité d’esprit. L’autre conséquence de ce manque de cadre, c’est que je ne donne pas suffisamment de place à ce qui est vraiment important pour moi, par exemple cette newsletter. Mes missions en freelance, elles-mêmes cadrées par des consignes et des délais précis, prennent naturellement le pas sur le reste et sans objectifs, je rend mon travail d’écriture vulnérable à toutes les sollicitations et à tous les imprévus. Il y aura toujours quelque chose de plus tentant ou de plus urgent qu’écrire ! Et même quand j’arrive à me motiver, l’absence de contraintes et de délais ne m’aide pas à terminer les choses - j’ai une petite tendance à me perdre dans des brouillons interminables et à me laisser glisser vers une inertie contemplative et angoissante.
Comme le dit très justement Clothilde Dusoulier dans l’épisode Faut-il planifier son temps ? de son podcast Change ma vie :
Si on laisse au hasard ou aux sollicitations des autres le soin de répartir notre temps entre les différents rôles qu’on joue, la probabilité pour que ça tombe pile sur le cocktail parfait pour nous est faible voire nulle.
Il y a quelques mois, j’ai vu le très joli film Julie (en 12 chapitres). Julie, c’est une jeune trentenaire qui se cherche. Après des études de médecine, elle décide finalement de se tourner vers la psychologie, avant de se rêver photographe, puis écrivain. Tant sur le plan professionnel qu’amoureux, Julie ne sait pas trop ce qu’elle veut. A première vue, difficile de ne pas être charmé par cette jeune femme intelligente, libre, pétillante, mystérieuse, qui a la fraîcheur des gens qui ne sont encore casés nulle part et usés par rien. Mais j’ai aussi été gênée par son manque de consistance, ce flou existentiel et l’égocentrisme qu’on sent chez elle. Je me suis beaucoup reconnue dans le personnage, ses changements d’humeur, ses doutes paralysants et son manque de confiance en elle.
Je crois que pourrais tout à fait devenir cette fille éternellement paumée qui se laisse balloter telle un bouchon dans une rivière, se rassure en se raccrochant à des mecs plus ancrés, plus persévérants, plus solides qu’elle, et finit par n’exister que par ce rôle de compagne charmante, rigolote et aimante, mais sans consistance - bref, un rôle de faire-valoir vers lequel se sont laissées glisser plein de femmes à cause d’un manque de confiance, d’engagement et de discipline.
Si l’indétermination m’attire, c’est aussi parce qu’elle me donne l’impression, bien sûr illusoire, de me protéger de l’échec. Choisir une voie, c’est risquer de se tromper de voie. Annoncer que je vais vous envoyer cette newsletter tous les dimanches, c’est risquer de me rendre compte dans 3 semaines que je ne suis pas capable de tenir ce rythme. Mais choisir de n’avoir aucun compte à rendre, ni à soi et aux autres, est le meilleur moyen de ne rien essayer. "Pour vraiment essayer, il faut avoir un objectif ma Loulou”, m’a dit Charles. De façon générale, on peut tout à fait se débrouiller pour éviter de prendre des risques, de rater et de décevoir, mais ce sera au prix d’une existence riche et singulière. C’est ce JK Rowling rappelait dans le célèbre “Harvard speech” que j’ai du regarder 45 fois au lycée :
It is impossible to live without failing at something, unless you live so cautiously that you might as well not have lived at all - in which case, you’ve failed by default.
Je suis de plus en plus lucide sur mon besoin de reconnaissance, auquel participent la maîtrise et le sentiment d’utilité. Et pour être bon dans ce qu’on fait, il faut à un moment faire un choix, “se spécialiser”, “développer des compétences”. Cet été, j’ai passé une semaine dans la famille d’une de mes amies proches. Son père, avocat, est une star dans son domaine et a énormément travaillé pour en arriver là. Un jour qu’on discutait d’équilibre de vie à table, lui a rappelé qu’on ne pouvait atteindre un certain niveau de réussite sans être un peu obsessionnel. Il a ajouté que sa vie à lui avait plutôt été “un déséquilibre organisé”.
Bien sûr, on est pas tous habité par cette ambition d’être le premier, comme on n’a pas tous envie de consacrer autant de temps et d’énergie à son boulot. Pour autant, il est important pour beaucoup de gens d’avoir des compétences que les autres n’ont pas - pour gagner sa vie, se sentir utile et bien dans ses baskets. Et cette maîtrise ne peut s’acquérir que dans la répétition, la constance, la régularité, la routine, et dans le renoncement à la spontanéité qu’aurait préservé une logique de loisir vis-à-vis de l’activité exercée.
Des contraintes qui libèrent
Quand je me retourne sur ma vie, je réalise que c’est dans les contraintes et les cadres structurants que je me suis le plus épanouie. Dans le cadre scolaire, j’ai toujours préféré les profs fermes et stricts aux profs “à la cool” qui laissaient beaucoup d’autonomie, et je ne me suis jamais sentie aussi épanouie et moi-même qu’en terminale dans un lycée jésuite très exigeant. J’ai ensuite aimé le cadre intense et structurant de la prépa. Le début des cours à 8h, l’étude jusqu’à 22h30, les khôlles et DST auxquels on n’échappait pas… Tout ça ne laissait que très peu de liberté et malgré la quantité de travail, la pression des résultats, l’échéance des concours et mon relatif désintérêt pour mes matières principales, je m’y suis sentie bien. En deux ans de prépa, les sujets qui m’ont le plus pris la tête ont été une brève histoire d’amour et ma logeuse versaillaise.
Par ailleurs, j’ai bien vécu les confinements, parce que j’ai eu la chance de les vivre dans des cadres très agréables, mais aussi parce qu’un certain niveau de routine et de restrictions m’apaise. Dans les moments où je suis très angoissée, il m’arrive de fantasmer qu’un terrible destin me tombe dessus. Une prise d’otage, une guerre, un deuil, n’importe quel évènement tragique qui donnerait une direction et une contenance à ma vie - le propre du registre tragique en littérature. “Le héros est victime de la fatalité et n’a pas de prise sur son destin”, apprenait-on au lycée. J’aime quand un vent très fort sur une plage ou le courant dans la mer me contraint à arrêter de penser et à réunir mes forces pour résister au choc. C’est peut-être parce que j’ai une tendance à céder au doute et au flottement que j’ai un peu fantasmé, en lisant La Horde du Contrevent, d’appartenir au “bloc”, ce groupe très soudé qui avance coûte que coûte contre le vent, malgré l’extrême rudesse et l’absurdité de sa quête. Et ce n’est peut-être pas un hasard si je me suis inscrite, à 15 ans, dans un programme extra-scolaire organisé par la Royal Air Force avec des ados qui, pour la plupart, envisageaient de rejoindre l’armée de l’air à 18 ans - une erreur de parcours qui disait peut-être mon besoin d’autorité, de cadre, de règles simples et de collectif.
Avec Charles, on a aussi parlé de pourquoi on aimait les randonnées et il m’a dit qu’il aimait la simplicité de l’objectif : monter jusqu’à un certain point, puis redescendre. Moi qui suis à priori plus tentée par une séance dans un cinéma douillet qu’un défi sportif dans le froid et la boue, je le comprend très bien. Ce qui me plaît, c’est la restriction de ma liberté pendant quelques heures ou quelques jours, ma réalité qui semble rétrécir, la sensation de vivre le moment présent, l’impossibilité d’abandonner même si on a mal aux pieds, le sentiment d’appartenance à un groupe. A chaque retour de rando, je me redis à quel point ça “vide la tête”. Et puis, je suis fière d’avoir relevé le défi et ça nourrit ma confiance en moi.
Dans sa newsletter, Haley Nahman raconte l’achat qu’elle et son mec ont fait d’un tourne-disque, objet aux contraintes rafraîchissantes dans un monde de contenus “à la demande” illimités. Puis, elle explique comment elle a ramené des contraintes et des engagements dans sa nouvelle vie de freelance. Des limitations qui lui ont permis, paradoxalement, de respirer à nouveau.
Since we got it (le tourne-disque), I haven’t stopped thinking about the more diminutive aspects of my life, and how good and natural they are. I do not need to be widely known, admired, or understood, nor does my world need to expand infinitely into the metaverse; rather, it needs to contract.
For me, that meant tying myself down a little bit more. I took on some outside freelance work. I signed up for a local sewing class and writing workshop. I finally hung the mirror in my living room, no longer tolerant of my own uncertainty around how to do it. In the same vein: I put up some art, hung some shelves, finally decided how I wanted to organize my books and then did it. I kept journaling. By October I was saddled by deadlines on a level I knew was unsustainable, but I noticed that my house had never been cleaner, my confidence in my own capability never sharper.
Je crois qu’il faut aussi que je ramène des règles dans ma vie. Tout en continuant de “sublimer” mes angoisses, les “épuiser” par les mots (je pense à Agathe Hocquet qui expliquait vouloir “épuiser sa dépression par les mots”). En faire quelque chose d’un peu plus constructif et joyeux qu’un spleen collant et une mollesse généralisée. Dans son interview pour Le 1, Cynthia Fleury dit aussi :
S’il faut faire quelque-chose de ces angoisses, c’est ne pas les laisser trop grandir dans cette indétermination qui risque de les aggraver encore.
Le travail analytique ou philosophique est là pour décrypter, déconstruire, et aller vérifier l’objectivation réelle de l’angoisse pour en limiter les effets. Il faut agir dès le départ pour qu’elle ne se retourne pas contre le sujet. Il est intéressant d’utiliser la verbalisation, mais pas seulement. Si on demande à Garouste ce qu’il a fait de ses angoisses, il nous montrera ses peintures. Essayer de sublimer ses angoisses est une forme d’explicitation.
Et pour “sublimer” ces angoisses qui me tiennent éveillée de longues heures au milieu de la nuit, je dois les laisser émerger dans un cadre défini et rassurant. On entend souvent que les cadres stimulent la créativité, et c’est ce que rappelle Haley Nahman dans sa newsletter :
Counterintuitively, constraints tend to lead to better creative work. Deadlines, budgets, guardrails: as long as they weren’t too imposing, they helped shape, rather than hinder, ideas. Research bears this out. And on some level I’ve always known this—almost no writing gets done without a deadline—but after leaving my last job due to its particular constraints, it was hard to wrap my head around the idea that I needed some of them back.
Elle évoque également le groupe de recherche littéraire Oulipo, créé par le mathématicien François Le Lionnais et l'écrivain et poète Raymond Queneau, fondé sur le principe que la contrainte incite à la recherche de solutions originales. Les membres fondateurs se décrivaient comme des « rats qui construisent eux-mêmes le labyrinthe dont ils se proposent de sortir ». Cette communauté comptait notamment Georges Perec, qui a écrit son roman La Disparition sans utiliser la lettre E. Et dans son essai sur le langage Bâtons, chiffres et lettres, Raymond Queneau écrivait :
Cette inspiration qui consiste à obéir aveuglément à toute impulsion est en réalité un esclavage. Le classique qui écrit sa tragédie en observant un certain nombre de règles qu'il connaît est plus libre que le poète qui écrit ce qui lui passe par la tête et qui est l'esclave d'autres règles qu'il ignore.
Aujourd’hui, chacune des rares contraintes qui cadrent ma vie est très importante pour moi : ma séance d’écriture dans mon journal tous les matins, mon cours de gym suédoise le lundi, la réception du panier de légumes le mardi, mon cours de théâtre le mercredi, le café chantilly en famille le dimanche matin, les rendez-vous télétravail avec les copains qui se répètent d’une semaine à l’autre. Et il est temps que je me fixe des objectifs pour ce qui est vraiment important pour moi “professionnellement”.
Comme dit aussi Clothilde Dusoulier, toujours dans le même épisode :
Au lieu de se sentir victime d’un emploi du temps ultra chargé qui ne nous permet pas de tout faire et qui nous sert d’excuse quand untel nous sollicite et qu’une telle nous invite à un évènement, on reprend la responsabilité de créer l’emploi du temps qui reflète nos vraies priorités.
Votre pouvoir sur votre temps, c’est votre pouvoir sur votre vie toute entière. Si vous savez à quoi vous avez envie de consacrer votre temps, si vous vous autorisez à prioriser ces choses-là et si vos décisions se traduisent en actions, c’est la clé de la liberté et rien ne pourra vous arrêter dans vos projets.
J’aimerais donc essayer, à partir de maintenant, de vous envoyer une newsletter tous les dimanches. Un changement radical de rythme de publication qui va me demander d’aller vers un format plus court, d’être plus efficace et de moins m’éparpiller. Je vais probablement me sentir un peu dépassée et oppressée par ces nouvelles contraintes, mais il me semble que c’est dans cet inconfort que naissent le dépassement de soi, la fierté et la tranquillité d’esprit. Et si je n’y arrive pas, ça me fera au moins me poser les bonnes questions.
Bien sûr, il est important de préserver des moments à utiliser façon spontanée et libre, des espaces d’exploration où l’on ne doit être ni efficace, ni cohérent. Mais je sais que profiterai d’autant plus pleinement de ces îlots de liberté que je serais ancrée dans une routine et des objectifs, je sais que je chanterai “libre me voilààà” avec d’autant plus de fougue que j’aurais bouclé mes missions, fait mon sport de la semaine et envoyée ma newsletter hebdomadaire.
Ce qui n’empêche pas de rêvasser, de se poser des questions et d’être attentif à son désir. Rêver de changer de vie est rafraîchissant en soi et préserver cet imaginaire est déjà constitutif de notre liberté, évoque le sociologue Jean Viard dans son interview pour Le 1.
Il y a plus de gens qui rêvent du changement de vie que de personnes qui le font. Mais c’est un rêve positif. Il n’est pas perçu comme une chute, mais comme un moment enrichissant dans l’existence. L’important est de rêver de changer de vie, de savoir que c’est possible. Cela augmente notre liberté. Qu’on le fasse ou pas n’est finalement pas si important. On a augmenté la liberté de sa possibilité. C’est important car la liberté, c’est d’abord un imaginaire.
Qui sait, peut-être que ces rêves et ces désirs formulés des dizaines ou des centaines de fois alimenteront un jour un projet de changement concret. La stabilité totale est probablement une illusion et on aura dans tous les cas besoin de se réinventer, comme l’écrit Christophe André dans cet article :
Il y a pourtant une certitude : le changement est inévitable dans nos vies. Car la vie, par définition, est le changement même, elle est une suite de changements constants. Montaigne le notait avec malice et poésie : “Le monde n’est une branloire pérenne : toutes choses y branlent sans cesse, la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d’Egypte : et du branle public, et du leur. La constance n’est qu’un autre branle plus languissant” (Essais, III, 2). Que nous le voulions ou non, notre vie change, et nous avec, et il n’est en notre pouvoir que d’accélérer ou de freiner le phénomène.
Mais voilà, comme écrit Eric Fottorino dans l’édito de ce même numéro du 1 : “pour changer de vie, il faut déjà avoir eu une vie”. Et être parvenu à s’engager, pour le meilleur et pour le pire. En tout cas assez longtemps pour s’être libéré du fantasme et avoir essayé, pour de vrai.
C’est la fin de cette newsletter. J’espère qu’elle vous a plu !! Comme d’habitude, n’hésitez pas à m’envoyer un message, par mail ou sur Instagram, ou à commenter ce post pour me partager votre ressenti. Je le dis à chaque fois mais vous lire me fait toujours très plaisir !!
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Je vous laisse méditer sur ce passage d’Une Chambre à Soi 😉
La très grande activité intellectuelle que manifestèrent les femmes dans la dernière partie du XVIIIe siècle - causeries, réunions, essais sur Shakespeare, traductions des classiques - était justifiée par le fait indiscutable qu'elles pouvaient gagner de l'argent en écrivant.
Voilà, c’est fini pour aujourd’hui !!
J’espère que vous apprécié la lecture de cette newsletter. Si c’est le cas, n’hésitez pas à la recommander à un·e ami·e et à vous abonner si ce n’est pas déjà fait.
A bientôt !
Louise
Toujours un plaisir à lire....comme une petite pâtisserie que je déguste en plusieurs fois! Bravo!
Juste. Bravo. Louise. Fine, sensible, intelligente, honnête à l’image de cette newsletter.