Hi sweet pies,
J’espère que vous allez bien !
Ça fait beaucoup trop longtemps : le boulot, les ponts, les verres, les anniv’, les paniers de légumes, les colis Vinted à préparer, le minimum syndical de sport, l’impression constante de faire entrer des ronds dans des carrés…
Mais ça y est, je vois le bout du tunnel. Et l’on entre enfin dans cette douce saison où il est collectivement accepté qu’apéros, bains de soleil et contemplation des palourdes sur le feu passent avant mails, visios et KPIs. Je me prépare une petite marche en solitaire et je compte bien glisser des livres qui parlent de paresse dans mon sac de rando.
Aujourd’hui, je vous parle de mon rapport à l’argent. Ce sujet au coeur de nos choix, stratégies, rêves, inquiétudes ou frustrations… et pourtant, encore étrangement tabou alors que les langues semblent se délier sur tout le reste : santé mentale, couple, sexe, grossesse, post-partum…
Il y a un petit prétexte, je vous en parle à la fin. Comme d’habitude, n’hésitez pas à réagir, je suis curieuse de savoir ce qui résonne ou pas. Bonne lecture ! 😘
“T’as besoin de combien par mois ?”
À chaque fois que cette question m’a été posée - par un pote, une coach et un formulaire distribué lors d’un atelier sur le sujet - j’ai réagi par un rire nerveux et un air de lapin pris dans les phares. Aucune réponse chiffrée ne m’aurait paru crédible, et pour cause : j’ai toujours réussi à esquiver ce rite de passage assez fondamental vers la vie d’adulte : faire un budget.
Pour ma défense, les chiffres, ça n’a jamais été mon fort. Ils ne m’évoquent pas un “petit jeu ludique” mais des après-midis d’enfance à sangloter sur l’angoissant bouquin 1000 problèmes (souvenirs souvenirs), une khôlle de maths humiliante et des réveils à 5h du mat’ dans l’espoir de décrocher un 10 en compta. J’ai encore l’air d’une vieille dame sénile quand je tente un peu de calcul mental, mais dieu merci, intégrales, matrices et tableurs Excel sont derrière moi ! 🥲
“Je serai pas serein avant d’avoir 5M sur mon compte”, m’a lâché l’autre jour un copain poète. Je comprends sa quête très assumée de liberté, mais je me suis redit qu’on ne vivait pas sur la même planète. Aucun objectif chiffré de ce genre, même plus modeste, n’a jamais pris racine dans mon petit cerveau. Je ne cracherais pas sur une jolie maison avec jardin ou vue sur mer, hein, mais je ne fais pas naturellement le lien avec des objectifs financiers. Dommage pour la jolie maison avec jardin ou vue sur mer.
Je vis dans l’évitement de tout ce qui me rappelle l’existence de l’argent, à commencer par mon appli LCL. Je suis pourtant abonnée à la newsletter Spoune, aux comptes Insta de Plan Cash et d’Héloïse Bolle, j’ai téléchargé des épisodes de Rends l’argent et de Thune… Mais dans les faits, je ne lis et n’écoute pas grand-chose. Comme le racontait Géraldine Dormoy à propos de son rapport à l’argent, la résistance est tenace.
Alors le budgéter, le faire fructifier… N’en parlons pas. Ce qui ne m’empêche pas de le DÉPENSER, hein, étant le panier percé de ma famille depuis que j’ai reçu mon premier argent de poche (que j’ai commencé par dilapider dans les vide-greniers et les boutiques d’orchidées, ces fleurs de salle d’attente que je trouvais alors absolument somptueuses). Lors du super atelier intitulé “money mindset” organisé par une copine de coworking, j’ai dû admettre que je tenais plus de “la cigale” et de “l’autruche” que de “la fourmi” ou de “l’écureuil”.
En fait, j’entretiens à peu près le même rapport à mon compte bancaire qu’avec la balance qui prend la poussière dans ma salle de bains. Parce que compter me stresse (et ça vaut aussi pour les kilos), je ne sais ni combien je gagne, ni combien je dépense précisément… J’ai confiance dans le fait que ça s’auto-régule, en alternant petits craquages et diètes. La métaphore se tient, à ceci près que les seules sensations physiques que mon compte bancaire risque de m’envoyer, ce sont des palpitations cardiaques en cas de refus de paiement.
J’aimerais vous donner les raisons de cet évitement - enfance privilégiée, 0 prêt étudiant sur le dos, normes de genre, tempérament idéaliste / imprudent / anxieux, dédain très français pour l’argent…
Un mix de tout ça, sans doute. Mais parce que j’ai soigneusement évité le sujet en thérapie et que l’argent reste un gros tabou de société, je suis incapable de valider une piste. Les mécanismes sociopsychologiques qui régissent ma relation à l’argent restent un peu obscurs.
Si je bugue autant quand on me pose la fameuse question, c’est aussi parce qu’elle soulève un tas de questions irrésolues. Vais-je un jour vivre sous le même toit que quelqu’un ? Avoir envie de quitter Paris ? D’avoir des bébés ? De m’offrir un énorme yaght ? Bien sûr, chaque scénario n’implique pas les mêmes charges... Bref, fixer un objectif financier revient à résoudre une équation à multiples inconnues, chacune étant chargée de vertigineuses questions existentielles. Alors, je procrastine ✌️
Le verre à moitié plein…
Il y a 4 ans, j’ai fait le pari audacieux de me lancer en freelance avec deux stages pour seule expérience - à la wannegaine totale. Cette année-là, j’ai volé le tiers de mes courses, mangé beaucoup de pâtes, renoncé à 100% des habits qui me faisaient de l’oeil et rappelé mon ex en larmes au moment de payer l’Urssaf. À celles et ceux qui sentiraient les larmes leur monter aux yeux, je précise que l’haussmannien bien chauffé de papa-maman m’attendait à 15 stations de métro, et que j’ai eu la chance non négligeable de pouvoir y souffler.
Après des débuts aussi chaotiques, je savoure de pouvoir m’offrir deux loyers (coloc + coworking), une mutuelle, de la nourriture BIO, quelques beaux vêtements d’occas’ et des places d’expos, spectacles et festivals. Tout ça, sans être trop stressée à la fin du mois. Avec un long week-end au ski, une séance chez l’ostéo et un passage chez le coiffeur (après des années à exploiter 100% de mes potes à l’aise avec une paire de ciseaux), cette année a eu comme un petit goût de luxe.
Alors j’essaye de savourer le fameux “chemin parcouru” et de garder en tête ce qui m’a motivée à esquiver la confortable case CDI : être libre, m’amuser en travaillant, préserver du temps pour laisser émerger des envies et des projets plus personnels.
Par ailleurs, je n’ai pas particulièrement peur d’avoir moins de pouvoir d’achat que mes parents. Il m’arrive d’appréhender le fameux “sentiment de déclassement”, mais je crois à d’autres échelles de valeur que l’argent et la consommation. Être d’une génération plus écolo, qui a redécouvert les joies de la sobriété et des randos dans la Creuse, y est clairement pour quelque chose. Bien sûr, ce serait une autre histoire si je ne vivais pas en France, où l’on a encore la chance d’avoir accès à des infrastructures et des soins gratuits de qualité.
À une époque où certains assument de façon toujours plus décomplexée leur désir d’argent - gourous du solopreneuriat Linkedin en tête - je suis presque nostalgique de la vieille morale catho fustigeant la cupidité. Et même si les inégalités me semblent une responsabilité plus systémique qu’individuelle, j’ai le sentiment qu’il y a du vrai dans ces mots de l’autrice Élise Thiébaut :
Je sais qu’on peut faire des choses merveilleuses, utiles, indispensables, et ne pas gagner d’argent. On peut surtout faire des choses dégueulasses – mais vraiment – et en gagner beaucoup. Ma théorie, c’est qu’à partir d’une certaine somme, c’est toujours un peu dégueulasse. Il y a toujours quelqu’un qui en meurt, quelque part, ou qui en souffre. Quelqu’un avec qui on aurait dû ou on devrait partager.
Bref, la vie est bien plus douce qu’avant et je n’ai pas envie de basculer dans la spirale du “toujours plus” et de l’insatisfaction chronique. Mais à partir de quand estime-t-on qu’on a assez ?
… est aussi à moitié vide
L’être pur, idéaliste et désintéressé que je suis sent poindre une légère frustration.
Bémol n°1 : petite bourge un jour, petite bourge toujours ?
Je vous le déclare solennellement : je renonce aux restaus de piste, aux vacances d’hiver au soleil et aux pignons de pin. Mais j’ai mes faiblesses : la bonne bouffe, les hôtels de charme, les vêtements chers, les jolis magazines, les voyages dépaysants…
Et j’aurai beau tout déconstruire, je resterai hantée par les “c’est cheap !” de ma mère devant chaque pull mal coupé, sol en lino et autres détails qui dérogent aux standards de bon goût et de qualité auxquels j’ai été familiarisée. Ce n’est pas du mépris, mais je reste sensible aux jolies choses. Habiter avenue de Flandre, une artère un peu rude du 19e, me le rappelle tous les jours.
Encore une fois, ce n’est pas l’essentiel et toute la beauté du monde n’est pas matérielle, ni payante. Mais je redoute d’être plus matérialiste que ce que je pense… et de m’en rendre compte trop tard. “C’est rigolo de vivre d’amour et d’eau fraîche à 25 ans, pas à 55 je te préviens !” m’a un jour lâché la mama en guise d’ultime avertissement.
Bémol n°2 : ma bande de CSP++
Tout ça est aussi, sans aucun doute, une histoire de comparaison. J’ai renoncé à un job confortable et bien payé, pas à côtoyer mes potes - pour la plupart, des jeunes cadres dynamiques qui en sont à leur 5ème augmentation.
Je prends peu de plaisir à jouer le rôle de la meuf fauchée / rabat-joie dans les décisions collectives, et n’ai jamais osé proposer un système où chacun·e paie en proportion de ses moyens. Alors pour l’instant, je m’adapte. Mais, même si je me réjouis d’avoir une excuse en or pour décliner un max d’EVJF, je redoute de me retrouver larguée un jour.
Bien sûr, être intégrée à un milieu aisé comporte un nombre incalculable d’avantages, y compris financiers. Les invitations dans de très jolies maisons secondaires, par exemple. Certains potes bien lotis ont parfois l’élégance de m’inviter sans attendre la réciproque. Quelques lecteurs me laissent de généreux pourboires. Rien qu’hier, une amie m’a refilé une robe avec un gentil “pour toi c’est gratos”. Bref, si on additionne les dépenses subies et les économies bienheureuses, le bilan est sans doute positif.
Le plus difficile à gérer, finalement, ce sont les normes sociales et culturelles qui vont de pair avec le pouvoir d’achat de ce milieu. Crèmes coréennes au packaging hypnotique, vêtements de sport à la pointe de la coolitude, dîners dans des étoilés, escapades de trois mois au Japon, rendez-vous chez Dynamo Cycling, robes à 360€, vélos à 4 000, mariages à 50 000… Serai-je capable de vivre avec ça sous les yeux sans finir aigrie ?
Dans un entretien pour Philonomist, Benoît Heilbrunn - prof de marketing à l’ESCP, et visiblement pas à une contradiction près ;) - résume :
C’est la comparaison et la frustration qui entretiennent le système marchand, et cette rivalité alimente le désir pour des produits dont la plupart ne sont pas vitaux. (…) La notion de pouvoir d’achat occulte la question du nécessaire pour focaliser l’attention sur des passions tristes que sont la rivalité, l’envie, la jalousie.
Il y a 2-3 ans, je parlais avec toujours-la-même des gens de mon âge qui mettaient l’argent en priorité dans leur carrière. Alors que je leur reprochais leur cynisme et leur individualisme avec une certaine virulence, ma mère a émis l’idée que j’étais peut-être un peu jalouse. Ça m’a piquée - moi, jalouse, pfff, laisse-moi rire… - mais elle n’avait pas complètement tort. Plus tard, j’ai vu cette vidéo dans laquelle la géniale Contrapoints rappelle combien il est naturel de déguiser l’envie, ce sentiment si honteux et désagréable, en condamnation morale.
Même chose pour nos petites piques envers une influenceuse en vogue, avec une pote. Si on n’enviait pas un peu son audace, son fan club, ses revenus bien dodus et son mode de vie, on ne prendrait même pas le temps de la critiquer.
J’ai pris conscience d’un dernier risque relatif à mon entourage en assistant à un cours donné par l’apprenti rabbin Anna Klarsfeld. Cette dernière a lu et analysé des passages du Talmud (recueil de commentaires des érudits juifs sur la Torah) autour du thème du travail. De façon assez surprenante, certains insistaient sur l’importance de l’indépendance financière. L’hypothèse derrière, qui contraste avec le discours catho ? La pauvreté risque de corrompre nos relations en y introduisant de la dépendance, des attentes, de la manipulation affective, voire du vol. Une hypothèse à nuancer, bien sûr, mais que j’ai trouvée plutôt lucide et pragmatique.
Bémol n°3 : pas un kopeck sur mon livret A
À un goûter l’année dernière, plusieurs potes ont annoncé de concert qu’ils s’étaient mis en quête d’un appart’ à acheter. Ça m’a fait l’effet d’une petite claque : de menus détails m’avaient fait sentir un petit décalage, mais là, j’ai eu l’impression qu’un vrai fossé s’était creusé.
Depuis, j’ai relativisé : certains d’entre eux sont aidés, d’autres achètent à deux, beaucoup ont choisi des métiers qui ne me conviendraient pas du tout… Et puis, investir dans la pierre n’a jamais été un objectif en soi pour moi. L’autre jour, à un apéro, une fille a mentionné le fait qu’elle claquait l’intégralité de son salaire chaque mois, et ça m’a détendue d’un coup.
Mais mettons que je me passe du bel appartement. Est-ce que je ne vais pas culpabiliser d’élever des enfants sans leur offrir “le meilleur” ? Si ça m’arrive un jour, il va falloir que je réinvente ma vision de la “bonne éducation”, sans son éventail de cours particuliers et de vacances exotiques. J’avoue, le salaire médian français m’a fait relativiser : parmi cette moitié de France percevant moins de 2 200€ par mois, il y a forcément plein de supers parents... On piochera des idées low cost dans Captain Fantastic.
Mais voilà, si je renonce à certains projets, j’espère que ce sera pour de bonnes raisons, pas juste un budget serré. Or rester les bras croisés d’ici là en espérant tripler mes revenus au bon moment me semble, disons, un peu risqué.
Bémol n°4 : faut-il être riche pour rester belle ?
Le passage le plus frivole de cette newsletter, promis.
En septembre, mon incisive latérale a commencé une discrète ascension. Les mois ont passé. Doucement mais sûrement, j’ai commencé à ressembler à ce charmant personnage - ou à Charlotte Le Bon, si on voit les choses du bon côté.
Un peu complexée depuis que mon père a pris un air catastrophé en découvrant mon nouveau défaut, j’ai fini par prendre rendez-vous chez des orthodontistes.
1er devis : bim, 3 500€. 2ème devis : bam, 7 500 €. Je ne me suis jamais sentie aussi pauvre que lorsque cette belle dame m’a décortiqué son devis ligne par ligne, pendant que je hochais mécaniquement la tête tout en pensant très fort : “abrège, j’ai même pas cet argent”.
Je suis sortie de son cabinet en considérant mes 2 options : négocier une avance sur héritage, ou déconstruire une bonne fois pour toutes les normes de beauté. La pensée que cette dent était peut-être la touche punk qu’il me manquait m’a effleuré l’esprit.
Bémol n°5 : une vie à deux doigts du craquage nerveux
Quand bien même je n’ai pas les moyens de me réagencer un sourire Colgate, j’ai trouvé un équilibre qui tient la route… au prix d’une charge mentale et d’un volume de boulot un peu épuisants.
L’été dernier, j’ai cumulé plusieurs symptômes du burnout - insomnies, anxiété, irritabilité, trous de mémoire, dos bloqué, grosse fatigue. C’était exceptionnel, mais je ne compte pas les fois où j’ai répondu “un peu sous l’eau”, “crevée”, “HS” ou “petit tunnel de taff là !” à la question “comment ça va ?” cette année.
Dans un bel hommage à l’écrivaine, peintre et prostituée Grisélidis Réal, Nancy Huston écrit :
Ayant fui ton milieu bourgeois, tu es devenue, Gri, cette chimère incongrue : une personne cultivée, éduquée, raffinée, qui, année après année, a besoin de trimer pour survivre, payer son loyer, chauffer son appartement, nourrir ses gosses. (…)
Si tu ne peins et n’écris qu’à l’hôpital ou en prison, c’est aussi parce que tes besoins physiques y sont entièrement pris en charge.
Il serait évidemment indécent de comparer ma situation à la sienne. Mais ça a résonné, ce décalage entre le raffinement d’une éducation et la réalité, bien plus triviale, de la vie d’adulte.
Bien sûr, il est normal de traverser quelques désillusions en quittant le monde insouciant de l’enfance - André Comte-Sponville en parle avec finesse et jovialité dans cet épisode du podcast Adulescence. Dans mon cas, l’un des petits “chocs” post-études a été de réaliser que tout se payait, et qu’il faudrait désormais consacrer une bonne partie de mon temps éveillé à gagner ma vie.
Cela dit, cette année aura aussi été l’occasion de quelques déclics : j’ai besoin de ralentir, de travailler à mon rythme, de faire des vraies pauses. Dessiner, lire des heures, faire la grasse mat’, partir en vacances sans ordi, oublier l’heure qu’il est… Tout ça me manque.
In a rich man’s world
Je vis ma vie de saltimbanque avec l’assurance lunaire que l’argent va finir par me tomber dessus. Sous la forme de mystérieux virements, d’un numéro gagnant, d’un riche admirateur, d’une poule aux oeufs d’or… que sais-je des surprises que le destin me réserve ?
Cendrillon, Blanche-Neige, La Belle et la Bête, Orgueil et préjugés, Pretty Woman, Fifty Shades of Grey… J’accuse les Disney, Hollywood, les romans du XIXe et les scripts érotiques d’avoir installé dans mon inconscient ce vieux scénario* : une héroïne miraculeusement extraite de la misère par un homme fortuné, tombé amoureux d’elle au bal, sur le trottoir ou entre deux rayons de supermarché. *Visiblement, Jacques et le haricot magique n’a pas eu le même effet sur mes représentations.
Bien sûr, ce schéma existe hors du cadre de la fiction. Ma mère a elle-même été “mère au foyer” pendant 15 ans. Et dans l’entourage de mes parents, je ne compte pas le nombre de couples constitués d’un homme qui gagne beaucoup d’argent et d’une femme investie dans des activités peu ou pas rémunératrices (vie domestique, projets artistiques ou associatifs...)
Bien sûr, on mesure aujourd’hui les risques de ce modèle : dépendance, précarité en cas de séparation… Mais c’est aussi ce qui a permis une grande liberté créative à certaines. Anaïs Nin ou Leïla Slimani l’avaient peut-être pressenti en se maquant avec des banquiers. Et apparemment, j’aurais tout intérêt à les imiter : “faut que tu te trouves un mari riche toi !”, m’a un jour lâché une copine de ma mère, sourire complice sur les lèvres (elle-même s’est maquée avec un type blindé).
Blague à part, je comprends que l’argent entre en ligne de compte dans le choix d’un·e partenaire… au même titre qu’il motive les choix professionnels de beaucoup de gens. D’autant que l’on vit désormais dans un pays où l’héritage pèse plus que le travail dans la constitution d’un patrimoine. Dans ces conditions, comment reprocher à certains de miser sur une belle union ? Nous ne sommes ni plus, ni moins cupides que les personnages des romans de Jane Austen. Dans ce contexte de progression des inégalités à la naissance, les stratégies des soeurs Bennett - ou des lieutenants rôdant autour des jeunes filles bien nées - nous sembleront peut-être de moins en moins désuètes… Parenthèse close.
Pour être précise, j’ai été élevée avec l’idée qu’on attendait des femmes qu’elles travaillent… Mais pas forcément qu’elles assument les responsabilités financières qui incombaient encore, il n’y a pas si longtemps, à la figure du patriarche. Et je dois vous avouer qu’étant peu attirée par les activités lucratives, cette répartition genrée des rôles m’arrangeait bien… Si je navigue un peu à vue, c’est peut-être aussi parce que j’espère refiler un jour le gouvernail à un mec pas allergique à son appli bancaire, ni au cours de la bourse. Piètre hommage aux siècles de lutte qui ont permis les droits financiers des femmes, je sais.
Et puis il y a deux jours, j’ai pris conscience d’un paradoxe brillamment décrit par Blanche Leridon dans son essai Le Château de mes soeurs :
Nous étions des filles donc nous avions le choix : rien ne nous empêchait sur le papier d’être ingénieures nucléaires ou banquières d’affaires, mais rien ne nous empêchait non plus de devenir autrices, dessinatrices ou chanteuses, ce qui était loin d’être aussi simples pour les garçons, toujours lestés du poids de la responsabilité financière, et donc moins encouragés à embrasser ce type de carrières. (…)
Mais l’impensé, ou plutôt le non-dit dans cette réflexion, se logeait dans le présupposé qui rendait cette “liberté de choix” possible, à savoir un mariage hétérosexuel et une responsabilité financière pesant, toujours, sur un mari. Une fois bien installées du bon côté de la vie, mais déterminées aussi à ne dépendre de personne pour en jouir, l’équation se grippe et se complexifie.
En lisant ce passage ce week-end, j’ai compris que moi aussi, j’avais cru possible d’avoir le beurre et l’argent du beurre. Mais dans les faits, je suis bien trop entière, romantique et indépendante pour faire un mariage de raison. L’argent ne serait qu’une cerise de confort et de sécurité sur un gros gâteau d’amour…
Gagner de l’argent, sans mode d’emploi
Vous l’avez compris, il est temps que je change de mindset.
Comprendre un brief, trouver le bon ton et les mots justes, imaginer des petites blagues, faire des métaphores, parler au coeur d’un lecteur… Ce n’est pas facile tous les jours, mais ça m’est plus naturel qu’un tas de trucs. Gagner correctement ma vie en faisant ce que j’aime sans vendre mon âme, en revanche… je prends tous les tips.
En tout cas, après plus de 4 ans à mettre la question de l’argent sous le tapis, m’écraser dans les négos et ravaler mes frustrations par peur de déplaire, j’aspire à une chose simple : être justement rémunérée pour mon travail. Pas pour devenir une shark arrogante et matrixée par son chiffre d’affaires, mais pour ne plus rogner sur ma sérénité, ma liberté et mes projets.
Côté freelance, j’ai un gros travail de positionnement à faire. La bonne nouvelle, c’est que je me fais coacher par la géniale Chloé Kieffer qui m’aide à faire le point, exprimer mes envies, construire mes offres en fonction et structurer la façon dont je fonctionne. L’idée étant de définitivement laisser le mode “j’accepte sagement tout ce qu’on m’impose” derrière moi.
Quant à cette newsletter, il est temps que je lui donne la place qu’elle mérite. Et je crois que cela passe par sa monétisation. Non pas parce que “je le vaux bien” (ce slogan si creux que Marion Olharan Lagan décortique ici), ni même parce que tout travail mérite salaire. J’aurais été rentière, elle serait peut-être restée gratuite. Mais je vois bien qu’il est difficile de m’y consacrer si ça ne m’apporte aucun revenu : je n’ai juste pas les moyens d’écrire gratuitement.
Vous demander de l’argent n’a rien d’évident. Dans un contexte où nous avons tous été habitués à du contenu gratuit, je me suis bien sûr demandée qui allait accepter de payer pour une énième newsletter dont le prix avoisinerait l’abonnement au Monde ou à Netflix. Je n’ai pas la réponse, mais comparer n’a pas de sens : ces entreprises font des économies d’échelle, certaines exploitent les créatifs de façon indigne... D’ailleurs, beaucoup d’entre nous choisissons de payer plus cher pour des produits qui touchent leur corde sensible et/ou sont fabriqués de façon éthique. L’artiste Mai Hua en parlait de façon très transparente dans sa newsletter.
Cette dernière fait d’ailleurs partie de la ribambelle de journalistes, entrepreneuses et créatrices de contenu qui ont récemment débarqué sur Substack en activant tout de suite le mode payant. J’ai assisté à ça avec une méfiance d’ancienne qui n’était que le symptôme de ma propre frustration. Au fond, ces nouvelles arrivantes - dont des autrices bien plus confirmées que moi - m’ont rappelé que l’écriture pouvait être une passion, un métier et gagne-pain.
Bien sûr, la gratuité de cette newsletter aurait du sens si le produit était ailleurs. Mais ici, le produit est ma newsletter. Je n’ai pas réussi à tenir le rythme des contreparties. Bref, la seule chose que je peux continuer à vous offrir sans m’épuiser, c’est ce que vous êtes en train de lire.
Si j’ose passer au payant, c’est aussi parce que je prends confiance en moi. Une confiance largement nourrie par vos retours, chèr·es lectrices et lecteurs ! Il y a aussi eu le "c’est bien, tu progresses” de ma mère, d’autant plus savoureux qu’elle ne distribue pas les compliments.
Alors voilà : si cette newsletter vous touche, vous fait sourire, réfléchir, faire des découvertes - depuis 6 jours ou 3 ans, n’hésitez pas à la soutenir.
Pour vous, c’est 5€/mois : le prix d’un cappuccino à Paris (je n’ai pas le choix, mais c’est moins si vous optez pour l’abonnement annuel). En échange, vous avez : des newsletters plus régulières et l’accès à toutes mes news en entier, à une version “audio” de mes prochains textes et à des nouveaux formats 100% exclusif (je vous en dis plus très vite !).
Pour moi, c’est un espace pour vous écrire plus souvent et plus librement, sans négliger des besoins essentiels. J’emprunte son petit calcul à Élise Thiébaut : si 300 d’entre vous choisissez de me soutenir financièrement, je gagne un SMIC. Autrement dit, je dors mieux, je coupe l’esprit tranquille le week-end, j’épargne pour mes soins dentaires, ma retraite et les cours de clarinette d’une éventuelle petite créature et je cesse de miser sur une rencontre fortuite avec mon Mr Darcy au Leclerc de Rosa Parks.
Si jamais c’est vraiment compliqué pour vous financièrement, n’hésitez pas à m’écrire. Rien ne me rendrait plus triste de vous perdre pour des raisons d’argent.
Et à celles et ceux qui accepteront de me soutenir très concrètement dans cette nouvelle étape, merci du fond du coeur ! ❤️🙏
Passez tous une bonne semaine, et à bientôt !
Les stars de la semaine 🌱✨
🗝️ Dans sa newsletter Voici les Clés, Agathe partage deux fois par mois le meilleur de ses 250+ accompagnements de coaching : anecdotes vécues, conseils pratiques, histoires inspirantes, avec un ton décalé. À chaque édition, recevez un outil de coaching prêt à l’emploi, avec les clés pour l'appliquer dans sa vie quotidienne !
📖 D’anciens étudiants en sociologie ont lancé Socioscope, une petite revue en ligne qui part d’un seul mot pour le creuser à travers vécus, réflexions personnelles, et regards sociologiques. Tout est accessible, sans jargon !
La dernière parution tourne autour du mot Aimer 👀
Mais aussi…
Les 4 & 5 juillet, cap sur le Bois des Charmes pour le Festival Amapola : un week-end de fête, de musique et de liberté en pleine nature.
À 35 minutes de Paris en TER, Amapola, c’est…
🌼 Un festival musical à taille humaine, chaleureux et intergénérationnel.
🌼 Une programmation pluridisciplinaire mêlant concerts, DJ sets, humour, théâtre, et ateliers engagés (écologie, égalité, empowerment)
🌼 Une scène qui fait la part belle aux artistes émergentes, avec une majorité de femmes à l’afficheAlors, seras-tu là, pour chanter au soleil et danser dans les bois ? Les fleurs t’attendent avec ta tribu → Par ici pour prendre tes billets.
PS non sponsorisé : Il y a deux ans, après une entrée un peu sérieuse dans la vie d’adulte, c’est le festival Amapola qui m’a réconciliée avec la fête - cet espace de joie, d’onirisme et de sensualité. J’y retourne cette année et j’ai hyper hâte !! 👯♀️🌾
Si toi aussi tu souhaites faire la pub de tes services de baby-sitter / notaire / voyante à plusieurs milliers de personnes sans débourser 1€, rien de plus simple : il te suffit d’abonner 5 personnes.
Merci beaucoup d’avoir lu cette longue newsletter jusque-ici, je suis honorée ! N’hésitez pas à répondre à ce mail. Pour s’abonner, c’est par ici. Besos ! <3
Bravo d'avoir franchi le cap du payant Louise ! Je viens de m'abonner, ma manière de te remercier pour toutes tes chouettes recommandations passées et à venir 😘
Sur l’argent et le rapport à l’argent, j’aime bien partager ces références :
- une vision très cynique de l’idée que « si je gagnais x millions je m’arrêterais de bosser » https://www.huffpost.com/entry/fck-you-money_b_683884
- le livre de Dan Ariely https://editions.flammarion.com/largent-a-ses-raisons-que-la-raison-ignore/9782080232212