Je m’appelle Louise, j’ai 26 ans et je vis à Paris. Dans ces newsletters à la fois intimes et documentées, j’essaye de comprendre des choses sur moi et le monde qui nous entoure. Bonne lecture !!
Coucou tout le monde,
Cette semaine, j’ai accompagné une nouvelle copine dans une résidence d’artistes située dans un ancien couvent du Nord-Est de la France. Axelle voulait y repasser quelques jours pour finaliser son roman, les photos qu’elle avait posté sur Instagram au mois de Septembre faisaient envie et j’ai tout de suite accepté de l’accompagner.
3 jours après mon retour, je suis encore sur un petit nuage. Dans cette newsletter, je vous raconte comment j’ai vécu cette expérience et les réflexions qu’elle a fait naître chez moi. Bonne lecture ! ❤️
L’arrivée
Lundi dernier, premier jour de grand froid en France, l’ambiance était sans doute plus austère qu’à la fin de l’été. Une fois sorties du train, nous avons rejoint la résidence à pied en traînant laborieusement nos valises le long de la départementale. À mi-chemin, Axelle a levé les yeux et m’a dit “ah regarde, on le voit !” en me pointant, à quelques centaines de mètres de là, un immense bâtiment gris qui m’a immédiatement fait penser à l’hôtel de The Shining. À notre arrivée, personne dans l’entrée. Axelle m’a montré la buanderie, où nous avons pris des draps propres avant de monter au 2ème étage et de s’installer dans deux chambres libres.
Une fois les lits faits et les chauffages allumés, Axelle m’a proposé un petit tour de propriétaire. Pendant un bon quart d’heure, nous avons traversé un dédale de pièces plus ou moins propres - d’impressionnantes bibliothèques aux murs recouverts de vieux livres, une salle à manger dont la table semblait pouvoir accueillir une soixantaine de personnes, des escaliers en bois, des vérandas glaciales, des couloirs nauséabonds et un jardin aux arbres dénudés, un peu tristoune en ce mois de Janvier. En 15 minutes, nous n’avons croisé qu’une femme en doudoune qui peignait sur le sol d’une une immense pièce vide, un homme qui promenait un landau et un gros chat gris aux yeux jaunes. Ma première impression a été celle d’un lieu relativement inhabité, délabré et glauque, propice au tournage d’un film qui impliquerait des fantômes de moines ou un gardien fou. Je me rappelle m’être dit que ça allait être long et qu’il fallait que j’arrête de jouer les aventurières - j’étais juste une petite bourge très snob.
Nous avons rejoint la cuisine, qui s’est tout de suite avéré le principal lieu de vie de la résidence. Une dizaine de personnes y vaquaient à leurs activités. L’une se beurrait des tartines, une autre pianotait sur un clavier d’ordinateur. De son premier séjour, Axelle a reconnu une femme qui avait apparemment changé de prénom depuis - désormais, on pouvait l’appeler Loumi. À part elle et un homme, les cheveux coiffés en macarons et les oreilles parées de pendentifs en forme de pâquerettes, personne n’a eu l’air de se préoccuper de notre arrivée. Dans la salle à manger attenante à la cuisine, nous sommes tombées sur 4 personnes attablées autour d’un jeu de société visiblement fait maison. Axelle est allée dire bonjour et est revenue l’air amusé : “c’est un Monopoly revisité en mode propriété partagée. Et à la place de l’argent c’est des points de bienveillance et de créativité”.
Les premières heures ont été rythmées par une descente au village sur les seuls vélos fonctionnels trouvés dans la grange, un plein de soupe et de raviolis Rana à l’Intermarché et un premier dîner avec la communauté. Pleines de bonne volonté, nous avons fini la soirée dans la “salle ciné” pour assister à la projection organisée par une résidente. 35 minutes d’images visiblement montées avec les moyens du bord sur le quotidien d’une tribu sénégalaise dans les années 60, avec en voix off les commentaires énigmatiques et soporifiques d’une chercheuse, devant lesquelles j’ai dû piquer du nez 15 fois.
Je me suis réveillée le lendemain après avoir dormi 10h. Petit à petit, j’ai créé une petite routine. La table de la cuisine, d’où je pouvais écouter les conversations d’une oreille, est devenu mon spot de travail préféré. Ma chambre, un petit cocon de chaleur dans lequel il m’a plu de venir me réfugier quand j’avais besoin de calme. Et peu à peu, je me suis faite au lieu, à ses murs craquelés, à ses meubles usés, à ses odeurs âcres et à ses entassements de bric à brac.
Les gens
À force de les croiser, de leur demander des infos et de dîner à la même table, ses mystérieux habitants me sont devenus familiers. Parmi la quarantaine de personnes qui étaient là, j’ai rencontré une chanteuse-comédienne belge, une musicienne danoise qui terminait une formation de shiatsu, un couple qui animait des ateliers de communication non violente, un développeur en crise existentielle, un chercheur-musicien anglais qui travaillait sur le design d’instruments de musique pour handicapés, un prof d’université américain qui venait travailler sur un projet de roman…
Alors que je m’étais un peu attendue à ne rencontrer que des artistes perchés en marge, ce que m’a d’abord semblé confirmer quelques looks un peu schlag et l’ambiance déglingue du bâtiment, j’ai peu à peu réalisé qu’une majorité d’entre eux venaient de grandes capitales (New-York, Londres, Bruxelles, Berlin, Amsterdam, Paris…), travaillaient sur MAC et se nourrissaient de petits plats à base de légumes BIO, d’ingrédients vegan et de sauces asiatiques pointues. Je me suis dit “ok bon, ça a l’air de tenir la route”, tout en ayant honte d’être aussi rassurée par leur capital économique, culturel et/ou social, que j’associe inconsciemment à un certain degré d’intégration et de normalité.
Au fond, je crois que j’avais peur que ce genre de communauté attire des profils un peu perdus et inadaptés. Et que, sous couvert de beaux discours politiques et de quête artistique, le lieu catalyse beaucoup de solitude, de précarité et de fragilité. Je suis évidemment influencée par la méfiance de mon milieu, de ma famille et de mon entourage vis-à-vis des parcours hors des normes sociales, professionnelles, sexuelles, amoureuses ou politiques. Et moi-même, avant de trouver leur sensibilité, leur créativité et leur audace intéressantes, j’ai tendance à soupçonner les gens qui perturbent l’ordre établi de se faire des noeuds au cerveau, de faire leur intéressant ou d’essayer de pallier un sentiment de détresse.
Ce scepticisme vient peut-être du fait que dans ma famille, les personnes les plus “hors-normes” sont celles qui ont le plus souffert, minées par des troubles mentaux qui ont fait de leur vie une longue descente aux enfers. Quand mon oncle est mort il y a 10 ans, il ne nous a rien laissé d’autre que quelques poèmes, une guitare désaccordée, une chambre imprégnée d’odeur de cigarette et le souvenir d’un homme ravagé par la drogue. D’autres histoires ont ancré en moi l’idée que sans cadre, des personnes fragiles psychologiquement peuvent partir en vrille. Bref, je crois que ma défiance rejoint une frilosité familiale vis-à-vis des profils atypiques, inadaptés, “trop” sensibles, et de leurs parcours hors des clous.
Ce séjour accomagnée d’Axelle, hyper curieuse et ouverte d’esprit, m’a fait prendre conscience de mes peurs et de mes préjugés. Petit à petit, j’ai compris que les gens avaient la tête sur les épaules, je me suis détendue et j’ai laissé leur compagnie m’ouvrir les chacras.
Avec mes gros sabots de fille qui aime mettre les choses dans des cases, j’ai demandé aux gens quel était "leur job”, avant de comprendre que leur demander “sur quoi ils travaillaient” avait plus de sens. Un soir, après avoir assisté à une scène de massage un peu hot, j’ai demandé au masseur si la fille dont il avait tendrement malaxé les épaules était sa copine. L’air mi consterné, mi amusé, il m’a répondu que non - “sometimes it’s not A or B you know, relationships can be on a spectrum”. Je me suis sentie la personne la plus coincée de la terre.
La compagnie de ces gens venus des 4 coins du monde, tous plutôt sensibles, passionnés, créatifs, idéalistes et un peu anti-systèmes, s’est révélée douce, dépaysante et stimulante. Par ailleurs, j’ai trouvé hyper rafraîchissant de passer du temps avec des gens qui ont une autre vision du temps, du travail, de la réussite, de l’habitat, du couple… Écouter des podcasts révolutionnaires et connaître des modèles alternatifs est une chose, en discuter avec celles et ceux qui les expérimentent (et ce de façon très naturelle) en est une autre. À force de toujours côtoyer les mêmes cercles parisiens, j’en avais oublié que des alternatives existaient. Peu à peu, j’ai commencé à me demander si me trouver un jeune homme bien diplômé avec qui acheter en proche banlieue et construire ma petite famille nucléaire était vraiment fait pour moi. Je ne suis pas sûre de la réponse, mais prendre du recul m’a fait du bien.
Le lieu
Le fonctionnement du lieu m’a fait réfléchir. Habituée à une communication claire et à des règles explicites par tous les environnements dans lesquels j’ai évolué (écoles, universités, coworking, colocs…), j’ai été surprise qu’il n’y ait ni accueil des nouveaux arrivants, ni visite guidée, ni règlement intérieur affiché quelque part. Axelle n’aurait pas connu l’endroit, ce n’est qu’en posant la question aux gens que j’aurais su que je devais contribuer à la préparation d’un dîner, payer mon séjour à la permanence de 18h et faire le ménage dans ma chambre en partant. Pas non plus de réunion hebdomadaire pour faire le point, exprimer les envies et les frustrations de chacun, éventuellement rappeler certains à l’ordre.
Au début, je me suis dit que c’était trop beau pour être vrai, ce collectif dénué de règles ou de figures d’autorité, et j’ai passé la semaine à guetter les indices indiquant que ça ne marchait pas si bien que ça. Mais en discutant avec “des anciens”, j’ai compris que chacun était considéré dès son arrivée comme autonome et co-responsable de la résidence, et tout aussi libre que les autres d’organiser des ateliers, des performances ou des projections. Un soir, je me suis retrouvée à cuisiner en même temps qu’un homme d’une quarantaine d’années qui préparait son houmous de la semaine. Il s’appelait Nisaar, vivait à Berlin, bossait sur un doctorat de philo et était un habitué du lieu. En discutant avec lui, j’ai mieux compris que cette dose de chaos était nécessaire pour préserver l’autonomie, la liberté et la prise d’initiative de chacun. C’était assez convaincant, d’autant qu’il n’a pas nié les défauts de ce fonctionnement (notamment, que quelques personnes en font plus que les autres).
Petit à petit, le mystère m’a semblé un ingrédient essentiel au charme du lieu et au fait qu’on s’y sente chez soi, comme un bon roman dont l’auteur nous laisserait le plaisir de nous approprier le récit et d’apprivoiser petit à petit ses personnages, sans asseoir sa position de sachant. J’ai adoré découvrir le lieu par petits bouts, reconstituer son histoire, son fonctionnement et sa philosophie comme un grand puzzle dont il est possible que certaines pièces manqueront toujours : son fondateur est mort, personne n’y a habité de façon permanente et la résidence ne cesse de se réinventer au fur et à mesure des années et des passages. Comme l’a écrit Nisaar en introduction d’un article où il partageait sa vision de l’endroit : “Many (hi)stories can be told about this place. With our version, we hope not to be wrong, but we don’t insist on being right.” Enfin, je crois que la magie du lieu tient au fait que les infos ne passent que par des rencontres et des conversations informelles. Tout ce que je sais sur ce lieu, je l’ai appris en écoutant les conversations de cuisine et en papotant avec mes voisins de table.
Cela m’a d’autant plus séduite que la résidence n’était pas non plus une coquille vide, que des valeurs fortes l’animaient et que ce fonctionnement collaboratif avait été pensé comme une alternative au fonctionnement souvent injuste et brutal du vrai monde. Et j’ai trouvé hyper intéressant de voir cette résidence, où cohabitent des dizaines de personnes de sexe, genre, couleur de peau, métier et niveau de revenus différents, comme le terrain d’expérimentation d’un vivre ensemble plus juste, inclusif et épanouissant pour tout le monde. Et cela sans la prétention, le discours péremptoire ou l’entre-soi que l’on peut parfois sentir dans certains environnements militants (pas tous, bien sûr).
5 jours d’apaisement
Après quelques jours, j’ai réalisé combien je me sentais bien. Et en miroir, combien ma vie à Paris pouvait me frustrer, marquée par le manque d’espace et surtout, un tiraillement constant entre mon envie d’être seule et celle de sentir de la vie autour de moi. Autant j’adore me sentir entourée et interrompre mes activités pour papoter de temps en temps, autant je suis très indépendante et j’ai du mal avec les activités de groupe ou des règles trop contraignantes. À Paris, j’ai du mal à trouver un équilibre épanouissant sur ce point. Or cette frustration a totalement disparue avec la vie en communauté, dans un environnement où je savais que je pouvais passer de longues heures toute seule sans que cela ne dérange personne, en sachant que je pouvais trouver de la compagnie dans la cuisine à tout moment. La résidence comptait de toute façon assez d’habitants pour que les décisions de chacun y passent inaperçues, et j’y ai ressenti un vrai sentiment d’apaisement.
Moi qui ai tendance à être un peu dans le contrôle, à me mettre une pression d’efficacité et à interrompre des conversations pour “m’y remettre”, je me suis beaucoup détendue. En l’absence de rendez-vous et de réunions, le temps s’est étiré et j’ai progressivement oublié de regarder l’heure et de compter les minutes consacrées à telle ou telle tâche. Comblée par les dîners collectifs, les conversations de cuisine et les petits bruits de la maison, j’ai très peu ouvert mon téléphone pour scroller Instagram, poster des stories ou prévoir des verres. Alors, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il s’agissait d’un bonheur éphémère, corrélé à l'émerveillement de la découverte. Par ailleurs, si je me suis sentie assez créative, je n’ai pas si bien travaillé que ça et j’ai eu une flemme absolue de publier sur Linkedin, de répondre à mes mails et d’écrire un article de marque sur les bienfaits du sommeil.
Quand est venu le moment de partir, cela faisait 5 jours qu’on était là et j’ai eu l’impression qu’il s’était passé une éternité. On a descendu nos bagages, fait un petit tour pour qu’Axelle me montre des derniers passages secrets, dit au revoir aux gens qu’on a trouvé dans la cuisine. J’ai fait un câlin un peu intense au prof de philo berlinois, regrettant de ne l’avoir rencontré que la veille, mais consolée par l'idée de pouvoir l’y retrouver un jour.
Voilà, c’est la fin de cette newsletter. J’espère qu’elle vous a plu ! Si c’est le cas, n’hésitez pas à la transférer à un(e) ami(e) et à vous abonner, si ce n’est pas déjà fait. Comme d’habitude, n’hésitez pas non plus à m’écrire, en répondant à ce mail ou en commentant le post. Si vous souhaitez partager votre avis et vos idées, je vous invite à répondre à ce petit questionnaire - merci beaucoup !! Comme d’habitude, vous lire me fait super plaisir.
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🙏 Encore merci à Axelle de m’avoir fait découvrir ce lieu magique, et à Pierre pour sa relecture toujours bienveillante et constructive.
Bisous, bonne soirée et à dimanche (🙈) prochain !! Louise
Merci Louise pour ce super partage qui donne envie !
J'ai éclaté de rire plusieurs fois, notamment avec ce passage
"35 minutes d’images visiblement montées avec les moyens du bord sur le quotidien d’une tribu sénégalaise dans les années 60, avec en voix off les commentaires énigmatiques et soporifiques d’une chercheuse, devant lesquelles j’ai dû piquer du nez 15 fois."
Et celui-ci :
"Un soir, après avoir assisté à une scène de massage un peu hot, j’ai demandé au masseur si la fille dont il avait tendrement malaxé les épaules était sa copine. L’air mi consterné, mi amusé, il m’a répondu que non - “sometimes it’s not A or B you know, relationships can be on a spectrum”. Je me suis sentie la personne la plus coincée de la terre. "
Qu'est ce que j'ai ri en imaginant la scène, haha !
Je t'embrasse
Marine
Salut Louise !
Tu as réussi à caler un Monopoly dans une newsletter et rien que pour ça, tu marques des points ! (Je suis en train de tester pas mal de blagues sur ce jeu dont j'ai appris qu'il avait été créé par une féministe anticapitaliste pour dénoncer le ridicule du monopole à la base...).
Ton texte donne envie de découvrir ce lieu que tu décris si bien.
Que penses-tu que les gens viennent y chercher ? L'inspiration vient-elle u changement de cadre ou des rencontres de nouvelles personnes. Je sais que tu n'y as pas effectué le travail que tu comptais y faire mais je suis assez curieux de savoir ce que cherchent et trouvent les gens qui participent à ces résidences d'artistes.
Merci pour cette belle newsletter et bonne soirée à toi !
Thibault