Je m’appelle Louise, j’ai 25 ans et je vis à Paris. Dans cette newsletter, une sorte d’essai à la fois intime et documenté, j’essaye de comprendre des choses sur moi et le monde qui nous entoure. En dernière partie, vous trouverez aussi des recommandations de lecture, films, podcasts, expos, pièces de théâtre. (Temps de lecture : environ 30 minutes)
Coucou tout le monde,
J’espère que vous allez bien et que vous passez un bel été,
Je vous écris de Paris. Paris en août, c’est un peu ma hantise. Mais là, quelques jours entre deux séjours bretons, j’aime bien. J’ai quelques copains dans les parages, la lumière du soir est magnifique, l’ambiance très joyeuse et détente !
J’avais envie de vous écrire une nouvelle newsletter au sujet de la rupture. Si la dernière se concentrait plus sur les doutes avant la rupture, celle-ci se consacre aux mois qui ont suivi ma séparation : l’arrachement qu’elle a été, le deuil qui l’a suivie, l’inconfort de la solitude et du retour sur ce grand marché de la séduction. Et puis, petit à petit, le regard qui s’ouvre et la redécouverte grisante de la liberté, de la joie, de l’émerveillement, du désir et de l’ambiguïté. Enfin, les réflexions sur ce qui n’a pas marché, les questions qui se reposent sur l’amour et le couple, la sensation rafraîchissante d’une page blanche devant soi.
Très bonne lecture !!
La séparation
L’arrachement
Une matinée de Mars, Pierre est parti. C’est la seule chose qui s’est faite d’un coup, franchement. Le téléphone a sonné, son père était en bas. On s’est dépêché de descendre avec ses valises et ses sacs, on s’est dit au revoir très vite et il est parti dans une voiture grise. Je suis remontée toute seule et je me suis assise dans notre chambre toute vide, un peu hébétée. J’ai essayé de pleurer pour évacuer la tristesse, je n’ai pas réussi.
Dans l’épisode de son podcast dédié à la rupture, Marie Robert décrit l’étonnante simplicité, voire la médiocrité de la séparation :
Fin, trois lettres élégantes et sobres pour dire le gouffre, la tempête, la déchirure. Avant, j’imaginais la rupture grandiose, sublime comme dans un roman russe. Je percevais la séparation à travers un joli filtre. On ose jamais dire combien rompre, c’est toujours vivre un moment minable. (...) On se quitte sur un revoir timide. Rien de superbe, juste quelques regards gênés de ne pas pouvoir faire autrement.
Ce jour-là, ironiquement, tout mon ressentiment avait disparu et je trouvais tout ce que Pierre faisait adorable. J’ai eu peur d’avoir fait une bêtise et je n’avais qu’une envie : faire machine arrière. J’ai fantasmé de le retenir, de le serrer contre moi, de lui couvrir le visage de bisous et de lui assurer qu’on se trompait, qu’on allait se battre pour que ça marche, que tout irait mieux. Un mélange de lucidité et de respect m’a retenue.
On a beau y penser depuis des mois et s’être fait à l’idée que ça allait se terminer, je crois qu’on est jamais prêt à se quitter. J’ai beau l’avoir provoquée, ma rupture m’a semblé brutale, douloureuse, éreintante. Elle m’a fait l’effet d’un arrachement, comme l’a décrit Claire Marin dans Rupture(s), ce magnifique essai dont je n’ai pas tout à fait fini de vous parler.
On ne rompt pas comme on découpe le long des pointillés, respectant soigneusement le patron qui reprend une forme exacte. On déchire dans le tissu d'une vie commune où les identités des uns et des autres se sont si étroitement mêlées que plus personne ne sait vraiment où il commence et où l'autre s'arrête. (…) Un couple qui se déchire, cela ne signifie pas que les anciens amants se disputent. Cela signifie qu’ils essaient réellement de s’extraire d’une matière commune, d’un corps affectif, mais aussi du corps physiologique que leur couple avait créé.
Le départ de Pierre de notre appartement a été difficile, mais il a constitué une étape matérielle, concrète, symbolique, qui nous a permis de couper le cordon. Après son départ, notre rupture s’est délitée en petites lâchetés qui nous ont peut-être aidés, avec du recul, à tenir dans la durée. On s’est dit : “c’est juste un break de quelques semaines” et puis, quelques jours plus tard : “on fait le point dans trois mois !”. C’est encore Claire Marin qui décrit avec justesse ce délitement de la séparation :
La séparation s’étire, elle se perd en points de suspension, en silences, en hésitations.
On ne croyait ni à ces breaks, ni à ces promesses de retrouvailles. Mais une séparation définitive était trop difficile à acter. Pierre a été le premier à sortir du déni et à formuler qu’on se séparait, dans un restaurant chinois du 13ème. Je le savais et pourtant, ce soir-là, les sanglots m’ont secouée jusque dans mon lit.
La vallée des larmes
La vallée des larmes, c’est le titre du 4ème épisode de la magnifique série de Bergman Scènes de la vie conjugale, dont je vous ai déjà parlé. Il décrit bien ces quelques semaines où malgré mon plaisir à parler de mes nouveaux crushs à mes copines et le sentiment d’une vitalité nouvelle, je pleurais régulièrement en pensant à Pierre.
Rien n’était plus douloureux que de penser à nos projets avortés, à ce qu’on avait imaginé pour l’avenir et qui n’aurait jamais lieu. La maison de campagne, le potager, les petits bruns dans le jardin... Claire Marin décrit très bien cette cruauté de la mémoire et de l’imagination :
La mémoire, trop vive, est notre bourreau. Torture de la mémoire amoureuse, qu’un rien sollicite quand on voudrait oublier. Sadisme des rêves qui ressuscitent les étreintes et fantasment les réconciliations.
Pierre était parti à la va-vite et avait laissé des affaires chez nous. J’ai passé une semaine seule dans cet appartement vide et je me souvent retrouvée nez-à-nez avec ces petits objets. Sa poêle, son enceinte, ses boutures. Et puis, avec les petits cadeaux qu’il m’avait faits, témoins d’un amour et de serments désormais caducs, réduits à l’état de clins d’oeil cruels et sarcastiques. Je pense à cette petite fiole qu’il avait peinte à la main et sur laquelle il avait écrit “amour” en chinois. Elle est encore sur ma table de nuit, comme un vieux doudou que je n’aurais pas le coeur à monter au grenier. Cette ironie des cadeaux, dont la fonction première est de témoigner de l’amour vivant, c’est encore Claire Marin qui en parle tellement bien :
C’est tout un monde commun qui se vide de sa substance, les objets sont creux, comme si la vie désertait les témoins silencieux d’un amour perdu. Que valent encore ces objets s’ils ne sont plus partagés, s’ils ne sont plus que le memento d’un amour mort ? (…) Eponges affectives, les choses se sont imprégnées des sentiments que nous avons éprouvés en les acquérant, les réparant. Elles sont les marqueurs du temps partagé, totems dérisoires d’un amour balafré.
Il m’est arrivé de me confronter à ces objets consciemment, parce que je prenais aussi un peu de plaisir à pleurer en pensant à Pierre. Se morfondre dans le chagrin, se laisser aller, est-ce que ce ne sont pas les seuls petits plaisirs des deuils et des séparations ? Pleurer m’a procuré comme un soulagement, à la fois physique et moral : j’étais bien un être humain sensible, profond, et affecté. Dans Notes on grief, un petit livre écrit après la mort de son père, Chimamanda Ngozi Adichie a écrit :
Grief was the celebration of love, those who could feel real grief were lucky to have loved.
Se séparer sans souffrir aurait été comme un affront à l’amour qui a été. Ça me fait penser aux rituels des enterrements, et notamment à ces pleureuses qui étaient engagées par les familles endeuillées, dans l’antiquité gréco-romaine, pour feindre le chagrin pendant les funérailles et rendre hommage au défunt. Peut-être que moi aussi, j’ai pleuré pour rendre hommage.
D’autres rituels anciens assument cette dimension honorifique des larmes, comme les tear catchers (“attrape-larmes”), bouteilles richement décorées retrouvées dans les tombes de la même époque. Les endeuillés y versaient leurs larmes et les disposaient dans la tombe du défunt en signe d’amour et de respect. L’artiste Margaux Derhy en a sculpté et je trouve l’idée comme la réalisation très belles et poétiques.
Pendant quelques semaines, je n’ai pas ressenti de joie sans me reprocher de guérir trop vite. Je fixais donc mon regard sur les affaires de Pierre, peut-être histoire de faire monter un peu l’émotion, d’éprouver la vivacité de ma douleur, et de me rassurer sur ma propre profondeur.
Le chagrin ressenti est rassurant à un moment où l’idée d’aller de l’avant, de rebondir et de triompher du chagrin peut sembler brutale. Ce chagrin, qui est à la fois signe de la fin et signe qu’on est pas encore guéri - et donc que ce n’est pas encore tout à fait fini - est très ambivalent. Encore une fois, Claire Marin parle avec justesse de cette douleur d’oublier, ou de savoir qu’on va oublier :
C’est parce qu’il est arrachement que l’oubli est parfois si difficile, parce qu’il confirme la perte définitive d’un être.
Le manque
Si le couple peut être soudé par l’amour, des enfants, un appartement, un contrat de mariage, un compte commun… On oublie qu’il est aussi soudé par l’habitude, la pure addiction, et que la rupture peut donner lieu à un douloureux manque physiologique. J’ai demandé à Pierre de partir comme une droguée qui se rendrait compte, dans un moment de lucidité, que sa drogue la mine et qui partirait toute seule dans un centre pour s’en éloigner. Et comme si j’avais arrêté le sucre du jour au lendemain, le manque s’est fait sentir.
Pendant des mois, on s’était vu, parlé, touché, embrassé, câliné, senti, réconforté, encouragé - et cela, plusieurs fois par jour. Du jour au lendemain, plus rien. C’est si violent que ça me fait penser aux expériences auxquelles on soumet les petites souris blanches dans les laboratoires. La rupture est comme une mutilation, écrit Claire Marin.
Les liens avec les autres et avec le monde ne sont jamais si sensibles qu’au moment où nous les perdons. (…) Ton corps perdu au réveil, ta voix qui ne répond plus. (…) La violence du manque empêche de dormir, de manger, de travailler, de vivre. Nous avons été mêlés et nous sommes désormais distincts, mutilés par ce déchirement, ce déracinement.
J’ai ressenti le creux dans le ventre, la nervosité, l’appétit qui faiblit, le sommeil agité. Je crois que j’ai perdu 2-3 kilos. Dans les premiers jours, je n’ai pas cherché à m’arranger. Habillée d’un vieux t-shirt, j’ai erré dans mon appartement, les yeux cernés, les cheveux gras et emmêlés. Sur le coup, la rupture enlaidit. Dans les comédies romantiques américaines, les portes d’entrée s’ouvrent sur des héroïnes en pyjama rose, les yeux rougis et le nez qui coule, un pot de glace Ben & Jerrys dans la main. Claire Marin le rappelle : la rupture n’est pas seulement une épreuve sentimentale, elle est aussi un bouleversement physique majeur.
La rupture s’écrit sur mon corps. Dos voûté, traits tirés, voix tremblante, silhouette amaigrie. Ou bien visage bouffi, cheveux sales, vêtements froissés. (…) La douleur n’est pas seulement psychique, mais réelle, sensible, corporelle. Douleur du manque, qui crée une sensation de malaise, de nausée, de brûlure. Pression dans la poitrine, souffle court, sueurs. Le corps manifeste la brutalité de la disparition.
Ce corps douloureux, j’achève alors de le faire souffrir. Je l’affame ou je le gave, je lui refuse le sommeil ou le repos, je l’abrutis d’alcool, de drogues ou de somnifères pour ne plus rien ressentir.
Ces conséquences physiques de la rupture amoureuse sont avérées : dans cet article, la psychologue Lisa Letessier et le professeur en neuropsychologie Didier Grandjean décrivent l’impact de la rupture sur le corps.
Quand la personne aimée "disparaît", tout s'effondre. "La rupture détruit tout ce qui a été créé en termes d'habitudes, et le fait de devoir tout reconstruire augmente considérablement la dose d'angoisse", précise le Pr Grandjean. La faute à la production d'hormones de stress, notamment le cortisol ou l'adrénaline, plus élevée qu'en temps normal. Elles laissent le corps dans un état d'alerte continu, sous stress permanent. C'est pire quand la décision survient brutalement.
"En moyenne, on observe une perte de poids de cinq kilos chez des personnes ayant subi une rupture", renseigne Lisa Letessier. Perte d'appétit, troubles digestifs, fatigue… La rupture a des effets en cascade sur le corps, le cœur ou la respiration. Le professeur Grandjean note, lui, une baisse d'activité motrice ou encore des baisses de concentration. Il devient également difficile de se détendre.
Lorsqu'on tombe amoureux, tout un système de récompense se met en place dans le cerveau. On va sécréter des endorphines, et notamment de la dopamine, l'hormone du bonheur. Lorsque la rupture arrive, on va continuer à rechercher ce "stimulus endorphinogène", ce qui va créer la sensation de manque. Selon la psychologue, la rupture amoureuse est comparable à un deuil : "d'un point de vue psychique, c'est exactement le même phénomène".
Comme souvent quand on traverse un chagrin d’amour, expérience pourtant banale, j’ai eu l’impression que personne ne pouvait comprendre ma détresse. Pour trouver du réconfort, j’ai écouté des youtubeurs (comme Swann Périssé, Cyrus North ou Solange te parle) parler de leur rupture. Me rappeler qu’on passait tous par cette grande tristesse m’a fait du bien.
Bien sûr, il y a eu le désir de rechute, la mauvaise foi, le flirt avec les limites. La tentation constante d’appeler Pierre, de briser le silence, de réduire la distance. Addict, on tient un jour, deux jours, et puis un soir, dans un moment de faiblesse ou fatigué de lutter, on craque et on se texte un “bonne nuit <3”, comme on se dirait “allez, juste une cigarette !”.
Pour tromper l’envie et faire le moins de bêtises possible, j’ai remis les craquages à plus tard, j’ai repoussé les déclarations à deux semaines, je me suis dit 100 fois que la nuit portait conseil. Et souvent, elle m’est passée, l’envie d’envoyer ce “tu me manques” ou ce GIF de petits ours qui se font des câlins. J’ai pris sur moi pour ne pas agir dans la hâte, j’ai usé de toutes mes forces pour ne pas céder aux décisions impulsives. J’ai négocié avec moi-même : pour résister à l’idée de lui proposer de recoucher ensemble, je temporisais en lui envoyant une vidéo de chaton. In fine, je suis assez fière du nombre de textos que j’ai réussi à garder pour moi. Parce que, comme le rappelle l’humoriste Swann Périssé :
Est-ce qu’on peut se mettre d’accord que parmi les actions inefficaces faites depuis le début de l’humanité, celle-ci c’est la PIRE ? Personne ne s’est réveillé après avoir appelé son ex complètement bourré la veille en se disant : “Tiens, c’était une bonne idée ! Franchement, on a réussi à mettre les choses à plat, à avoir une conversation constructive.. super move de ma part !”
Le plus dur a été de se canaliser quand on se voyait. En Mai, on s’est retrouvé tous les deux à un week-end en Bretagne. On avait rassuré nos copains avant de partir : “aucun problème, on est amis !” Evidemment, on a passé deux jours à se tourner autour, à se passer la main dans les cheveux pour “enlever une petite bête”, à s’enlacer pour “se dire bonne nuit”. Le soir, toute seule dans mon petit lit, j’ai fantasmé nos retrouvailles. Après avoir pesé le pour et le contre pendant 20 minutes, je suis restée dans ma chambre, pas certaine de l’intérêt de gâcher ce qui était pour l’instant un “sans-faute”. Mais il m’est quand même arrivé de tenter des trucs un peu sournois. Plusieurs fois, je lui ai proposé de dormir à la maison pour le “dépanner” alors qu’il était de passage à Paris - chaleureuses propositions qu’il a eu la sagesse de refuser.
Ça m’a fait penser à la première saison de la géniale série Fleabag, dans laquelle on assiste à plusieurs scènes de ruptures entre Fleabag (la fille dont on suit les aventures) et son copain Harry. A chaque fois, ce dernier décide que ça y est, c’est fini, pour toujours. Il fait sa valise, dit adieu, quitte l’appartement de Fleabag en claquant la porte et en y oubliant systématiquement une petite figurine de dinosaure. En général, ils se revoient quelques jours plus tard pour qu’Harry récupère sa figurine et se remettent ensemble à cette occasion.
Pendant des semaines, j’ai été particulièrement attentionnée, n’oubliant jamais de lui demander des nouvelles de son stage, de lui envoyer des bonnes recettes ou de lui recommander des comptes Instagram de jardinage qui “plairaient peut-être à sa maman”. Ça ressemble à de la gentillesse, mais c’était surtout l’idée d’avoir 30 secondes de son attention qui me faisait plaisir.
Le manque m’a parfois retourné le cerveau. Un soir, j’ai regardé Les Olympiades, un film qui m’a plongée dans une profonde mélancolie. Devant le générique de fin, je me suis mise à pleurer comme une madeleine. Toutes les conditions pour craquer et envoyer un texto à Pierre étaient réunies. J’ai lutté pendant un bon moment jusqu’à ce que deux heures plus tard, l’idée de lui conseiller ce film me semble tout à coup une évidence, presque un devoir : ça se passait dans le 13ème, près de là où Pierre avait habité, et une des filles du film était chinoise, comme la maman de Pierre !! Le lendemain, le manque de subtilité de ma recommandation et le besoin d’attention dont elle témoignait m’ont sauté aux yeux.
J’avais quitté mon copain, je sentais que c’était la bonne décision, j’allais déjà mieux, et pourtant : j’ai eu envie de lui parler, de lui dire bonne nuit et de recoucher avec lui des dizaines de fois. Mais si ça me faisait douter par moments, je sentais aussi qu’il était trop tôt pour être lucide.
Les montagnes russes
Euphorie, tristesse, excitation, peur, doute, angoisse, sentiment de solitude, sentiment de liberté - les mois qui ont suivi la séparation m’ont semblé une succession d’émotions contradictoires.
Les hauts et les bas se sont succédés sans logique ni linéarité. Un jour, je me sentais sereine, calme, apaisée, forte. La rupture me semblait tout à coup une évidence, je me félicitais d’avoir pris cette décision libératrice et j’avais la conviction que je ne ferais désormais qu’aller de l’avant. Le lendemain soir, j’appelais ma soeur en larmes. Je pouvais être d’humour morose et mélancolique un matin et parler de mes nouvelles targets à mes copines le soir-même, d’excellente humeur.
Comme le dit Claire Marin, avec sa finesse habituelle :
La rupture est en réalité arrachement sans cesse recommencé, allers-retours intérieurs, inquiétude. Elle est un long travail de déprise, de distanciation et d’apaisement affectif.
Les convictions ont jailli dans un océan de flou et de doutes. Un peu comme le sentiment lumineux et rassurant de la vocation qu’on peut sentir, parfois, au milieu de dizaines d’heures de travail pénible, laborieux, pas si naturel. La tendresse, l’affection, l’attirance et l’amour que je ressentais pour Pierre ne se sont pas évanouis du jour au lendemain. J’était celle qui avait douté de la relation, j’ai continué à douter après la rupture, perturbée par l’intensité du manque et des coups de blues. Pour garder mon cap, je me suis accrochée à la certitude qu’on ne se rendait plus heureux.
Et puis, un jour, on y pense et on se rend compte qu’on a plus envie de pleurer. Qu’on y avait pas pensé depuis quelques heures, quelques jours. Quand j’ai commencé à écrire cette newsletter, j’avais la gorge nouée. Ecrire me faisait l’effet d’un couteau dans la plaie. Aujourd’hui, la douleur a totalement disparu et je vous envoie cette newsletter sereine et détendue. Inévitablement, on finit par aller mieux, comme l’écrit encore Claire Marin :
Il y a ce moment où on se dit “tiens, je n’ai plus si mal”. Où l’on se surprend, oui par hasard, on se rend compte qu’on pensait à lui ou à elle sans trop souffrir. Je pense à lui et non plus à “toi”, il est passé à la troisième personne, à l’arrière-plan, sur le plan indéfini des “ils”. (…) La séparation s’amorce dans l’évanouissement du “tu”.
Alors, la vie devient plus douce. Petit à petit, on se remet à profiter du plaisir de vivre. Comme l’écrit la journaliste et romancière Cheryl Strayed à des lectrices qui hésitent à quitter leur copain ou leur mari :
Time will heal this wound, sweet pea. I know that for certain, though I also know that feels impossible to you right now. There is more love to be found and you’ll find it someday. And everything you learned from your thirteen years with your former boyfriend will contribute to your ability to do it better next time around.
La bonne nouvelle, c’est qu’on est resté amis, avec Pierre. Pour moi, c’était normal, mais beaucoup de copains m’ont fait la remarque, surpris que ça se passe aussi bien. Le fait de n’avoir jamais arrêté de se parler y a peut-être contribué. On a “communiqué” avant, pendant et après la rupture. On était copains avant de sortir ensemble et on s’est quitté avant de se prendre en grippe, ça aide. Je suis contente que notre relation ne s’arrête pas là. Comme avec un autre ami-ex, il y a dans nos discussions une profondeur, une tendresse et une complicité que je trouve assez uniques et précieuses. Et puis, au-delà de notre relation, en parler nous a permis de mieux comprendre ce qu’il s’était passé. Ça nous aidera peut-être à ne pas reproduire certains schémas.
La vitalité retrouvée
L’appétit
Dans les derniers mois de notre relation, j’étais devenue grave, anxieuse, casanière. Je n’avais envie de rien, je n’avais d’énergie pour rien. Certains soirs, plutôt qu’aller à une soirée à 10 minutes de chez moi, je préférais rester à la maison avec une bougie et un plaid. Ma vie était devenue monastique et je m’étais un peu éteinte.
Encouragés par la cohabitation mais aussi par un hiver glacial, un budget serré et une vie sociale ramollie par le Covid, nous étions un peu devenus ce couple cocooning et replié sur soi décrit par le journaliste Vincent Cocquebert :
Pour définir ce que j’entends par «Civilisation du cocon», je dirais que c’est cette période historique qui s’amorce au début des années 1980 et qui ne cesse de s’intensifier depuis. (…) Dès les années 1990, la futurologue américaine Faith Plotkin, constate chez les Américains une pulsion de clanning (ne vouloir être qu’avec les siens en somme) et de cocooning, soit ce besoin de rester chez soi, loin du monde et de sa brutalité.
Mais ce sont surtout les années 2010 qui, avec le développement d’internet, ont permis la réalisation de ce fantasme latent d’isolationnisme domestique et social avec une domiciliation des loisirs, de la consommation et désormais du travail. Une tendance quasiment entourée d’une aura positive de sédentarisme cool comme l’exprime l’expression populaire «Netflix and Chill». Quelque part, avant même la pandémie de Covid, nous vivions, un peu inconsciemment, des vies préconfinées, pour nous éloigner du monde et d’une altérité perçue comme de plus en plus hostile.
Après ma rupture, j’ai petit à petit retrouvé mon appétit de vivre et une vitalité grisante. Je me suis surprise à chantonner dans la rue, à danser toute seule devant mon miroir et à avoir des fous rires avec des copines. A chaque fois, je me suis dit : “tiens, ça faisait longtemps !”. Il m’arrive de pouffer toute seule et j’ai un peu l’impression d’avoir retrouvé une bonne copine.
Une soif de rencontres m’a prise et j’ai eu envie d’aller à toutes les soirées de Paris. Ecoeurée par l’état triste et casanier dans lequel je m’étais laissée glisser, je me suis promis de ne plus jamais refuser une seule invitation. Je suis entrée dans cette nouvelle ère en parcourant 500 km pour aller à une soirée où je ne connaissais pas plus de trois personnes.
En soirée, je danse comme si c’était la dernière fête de ma vie. D’ailleurs, je ne ressens plus la moindre gêne, plus la moindre pudeur à me déhancher et à taper du pied comme une possédée. Comme si le plus important était de me purger de toutes les angoisses de l’année et d’éloigner le spectre du fantôme tourmenté que j’ai été cet hiver. Tant pis si je me fais remarquer. Le désir est “un cri jeté face à la mort”, écrit Belinda Cannone dans son très bel essai Petit Eloge du Désir.
Je me sens plus connectée et présente. Il ne m’arrive rien, mais le sentiment que tout peut m’arriver me rend fébrile. Au début, je m’imaginais rencontrer l’homme de ma vie à chaque coin de rue et cette possibilité me rendait curieuse, nerveuse, attentive. Je me sens vivante, tout à coup, et je ne suis apparemment pas la seule. Belinda Cannone décrit :
Tu entends souvent des femmes déclarer (peut-être les hommes le disent-ils aussi mais tu recueilles moins souvent leur confidence), qu'elles ont quitté un homme parce qu'elles ne ne sentaient plus vivantes.
C'est cette expression si fréquente, se sentir vivante, qui te frappe. Elle confirme que le désir ne se réduit pas à une concupiscence charnelle mais qu'il est expérience métaphysique, celle d'une façon d'être au monde élargie, amplifiée, anoblie. Quand on le perd, le sentiment d'être en vie diminue.
Comme elle l’écrit plus tard, le désir est “l’appétit qui gît en soi”, un “mouvement vital”, “l’énergie pure”.
Comme je le disais dans la chronique que j’ai écrite pour My Little Paris, “le simple fait de désirer à nouveau me met dans une espèce d’exaltation. Depuis ma rupture, tout m’enchante”. Les bruits des conversations, les jolies silhouettes, la beauté et la diversité des immeubles, la lumière orange sur leurs façades… Comme si on m’avait retiré des oeillères, j’ai commencé à dévorer Paris du regard. D’ailleurs, j’ai pris plein de photos.
Dans ce très beau passage, Belinda Cannone parle de l’impact du désir et de la joie sur notre sensibilité à ce qui nous entoure :
Le réel est une corne d’abondance mais, souvent hors de l’état de vigilance que crée le désir, nous ne le voyons pas. Parce que la joie nous ouvre alors mieux et d’autre manière au monde, nous nous mettons à l’habiter poétiquement. Les yeux se posent avec une nouvelle acuité sur les jolis détails et se projettent plus loin vers l’espace et les paysages, parcourant sans cesse l’ample spectre du visible et de l’admirable. La poésie devient notre mode de perception, nous sommes sensibles comme jamais à la splendeur et aux beautés simples. Le désir exalte la poésie du monde.
Mon appétit, je le mesure aussi à mon envie de nouveauté, de découvertes, de petits défis. J’ai eu envie de me faire un hammam à la grande mosquée, de nager à la jolie piscine de la Butte-aux-Cailles, de tester des restaus et des bars à vin. J’ai rêvé de séjours en Italie, de week-ends à Amsterdam et d’un grand voyage au Japon. Je suis dépensière, tout à coup. Je me suis offert des boucles d’oreille et un pull assez chers. J’ai acheté plein de livres et je me suis inscrite à un cours de gym suédoise.
Bref, cette rupture m’a fait une espèce de décharge électrique, comme si j’avais pris conscience que le temps passait, qu’il passait vite, et que j’allais mourir un jour.
La déprime des mois de doutes et la douleur de la séparation ont certainement aussi réhaussé la valeur des petites choses. Je ne dis pas ça pour encourager à “la pensée positive”, injonction creuse et parfois insupportable, mais parce que je le ressens bien, ce plaisir de vivre décuplé. D’ailleurs, l’impact de l’épreuve du négatif sur l’amour de la vie est l’objet de cet article de Philomag :
Deuil et renaissance, douleur et désir, perte et plaisir… Étrange comme l’amour de la vie côtoie les gouffres des saisons en enfer.
Cette joie et cet appétit me semblent presque décalés : en dehors des grandes joies que sont les soirées, les spectacles, les dîners et les vacances entre copains, mon quotidien est plutôt tranquille. Je ne vis pas d’histoire d’amour incroyable, j’ai un budget serré qui limite encore mes projets, j’ai une vie assez solitaire. Mais voilà, la joie et l’appétit sont là, peut-être par cet “effet d’optique” nommé par Socrate, qui est cité dans cet autre article :
La tranquillité n’est donc qu’un « état intermédiaire », explique Socrate dans ce passage, où l’« on n’éprouve ni joie ni peine ». Ce qui rend cet état intermédiaire désirable, c’est que, lorsque nous avons été gravement malades et que nous recouvrons la santé, nous nous mettons à nous émerveiller de choses qui étaient jusque-là anodines à nos yeux : un rayon de soleil qui tombe dans la rue et souligne les ombres sur la façade voisine, un enfant qui joue au ballon, une tasse de café, une pomme que l’on croque.
Je ne peux pas non plus sous-estimer l’arrivée grisante du printemps, et avec lui les jours qui se sont rallongés, les jardins qui ont fleuri, la bonne humeur générale. “Tout le monde casse en Mars, c’est connu”, m’a dit une copine. Je ne savais pas, mais c’est du bon sens ! J’ai eu l’agréable sentiment d’être alignée avec l’enthousiasme saisonnier, aussi j’ai particulièrement savouré cette “sensation indescriptible des beaux jours” décrite avec justesse par Géraldine Mosna-Savoye :
C’est comme ça chaque année, au même moment, entre fin avril, je dirais, et début juin… il y a quelque chose dans l’air. Vous sortez de chez vous, et tout à coup, une température plus douce, un oiseau qui chante… Et vous voici comme envahi d’une étrange sensation. Et pour une fois, une sensation assez réjouissante. La lourdeur de l’hiver s’envole et apparaît la perspective de l’été. Vous me direz que c’est tout simplement le printemps.
De la solitude, du temps et de la liberté
Sans surprise, me retrouver seule et en autonomie totale du jour au lendemain a été assez inconfortable. De Juin à Février, j’avais tout vécu avec Pierre et son départ a laissé un grand vide. Je n’aime pas la solitude, et la présence de Pierre me rassurait : j’entendais quelqu’un vivre à côté de moi. Et puis, le statut “en couple” apaisait mon syndrome de Fomo (fear of missing out). J’avais une “bonne excuse” si je n’avais rien de prévu un samedi soir : j’étais dans mon nid douillet avec mon amoureux.
A la maison, au musée, dans les transports, j’ai redécouvert la solitude. J’ai aussi retrouvé “ma chambre à moi”, ces 10 mètres carrés où, à l’abri de tous les regards, je peux me relâcher tout à fait, me laisser porter par mes humeurs et aller jusqu’au bout de mes pulsions de grimaces, twirks devant le miroir et autres plaisirs solitaires. Mon quotidien est plus calme, plus intérieur. Là où la présence de Pierre invitait au debrief et au partage immédiat, je m’habitue à garder davantage les choses pour moi.
Là où une relation amoureuse prend du temps (qu’on aime “perdre”, bien sûr), une relation qui ne marche plus implique des ruminations, des conversations et des disputes qui prennent encore plus de temps, d’énergie et d’espace mental. Après la séparation, je me suis d’un coup retrouvée avec beaucoup de temps pour moi.
Ce temps, j’en fais ce que je veux : je n’ai plus de comptes à rendre à personne. Je peux dîner d’un morceau de boursin et d’un verre de gaspacho sans entendre de protestations, partir en week-end à l’improviste, sortir sans culpabiliser, rentrer trop tôt ou trop tard, lire le soir sans gêner personne avec la lumière, choisir le film que j’ai vraiment envie de voir au cinéma. Je ne fais plus que ce dont j’ai envie : voir des films, écouter des podcasts et de la musique, lire, écrire, essayer des nouvelles tenues, voir mes copains et rencontrer des gens. Le reste - bricoler, cuisiner (quoique, je m’y met doucement), faire semblant de m’intéresser aux Marvel, aux start-ups, au code et aux figurines Warhammer - est vite passé à la trappe.
Je serai sûrement ravie de faire à nouveau des compromis pour quelqu’un un jour. Mais pour l’instant, utiliser mon temps exactement comme j’ai envie n’est pas pour me déplaire. Et puis, je n’ai plus rien à partager avec l’autre, notamment les moments avec nos copains - une exclusivité que je savoure jalousement.
L’affirmation de soi
Je crois qu’une rupture est l’occasion de prendre du recul, de faire un grand ménage, de se réinventer dans tous les aspects de sa vie, de s’affirmer. “La rupture nous révèle à nous-même”, écrit Claire Marin. Marie Robert en parle aussi très bien, toujours dans le même épisode :
Comme la crise, la rupture est porteuse d’opportunités. Elle nous impose de faire autrement, nous propulse dans le chaos, nous engage à revoir nos appuis, notre ordre, notre façon de faire, elle travaille notre souplesse, notre réactivité.
Au XXIème siècle, l’existence n’est plus circulaire mais traversée de 1000 bifurcations à angles droits. Il n’est pas rare qu’une rupture amoureuse entraîne des ruptures en cascade, parce qu’on se rend compte qu’on est devenu quelqu’un d’autre. Hobbies, travail, lieu de vie, amis. Tout est redéfini. La rupture ravive toutes les douleurs mais elle enclenche aussi une somme précieuse de remises en question. Fragilisés, parfois abîmés, on en profite pour renaître. Et sans s’en apercevoir, à l’aune de ces introspections, on explore d’autres zones et on s’écrit soi-même, comme le dit Bergson.
Qu’elles soient amoureuses, amicales, professionnelles, géographiques, on se construit et on grandit aussi grâce à des ruptures. C’est ce que des amis m’ont rappelé cet hiver quand, après quelques verres, je leur ai laissé entendre que ça n’allait plus du tout avec Pierre. Ils sentaient sûrement à quel point j’appréhendais de me séparer et m’ont dit doucement : “tu sais, les ruptures, ça construit, ça fait gagner en maturité !”
Comme le rappelle le philosophe Nicolas Grimaldi :
La séparation est notre lot. Il n'y a pas d'expérience plus commune, plus originaire ni plus constante. Tout ne commence-t‑il pas en effet par une séparation, puisque toute naissance suppose la perte de quelque union primordiale ? (…) Le mythe de la Genèse, lui aussi, a fait d'une séparation l'origine de notre histoire. Toute naissance est une césure. Tout commence par une perte.
En ce qui me concerne, les ruptures ont presque toujours été des vecteurs d’alignement, d’apaisement, d’affirmation et d’épanouissement. Je dis “presque”, parce qu’il m’est aussi arrivé de rompre par peur, par paresse ou par pur esprit de contradiction. Ces ruptures-là, je les ai regrettées, malgré les excuses que j’ai essayé de me donner et le soulagement court-termiste qu’elles m’ont procurées. La rupture peut être salvatrice comme illusoire, idéalisée, décevante. Une ambivalence parfaitement explicitée par Claire Marin :
N’est-on pas parfois tenté de rompre pour être délivré de la fatigue d’être soi, de la pesanteur d’une modalité de l’existence dont on pressent confusément le caractère définitif ? (…) Légèreté illusoire de celui qui rompt, porté par l’espoir d’une vie plus dense. N’est-ce pas pour échapper à une identité décevante et pourtant profondément mienne que je fuis l’ancien amour comme s’il était responsable de cet appauvrissement de mon être ?
Mais je crois que la maturité et la patience aident à sentir si la rupture est une fuite ou au contraire, une étape nécessaire pour s’épanouir.
Il me semble que les “bonnes” ruptures permettent de s’affirmer. Avant la rupture, je me sentais anxieuse, petite, fragile. En sortant de cette zone de confort, j’ai découvert ce dont j’étais capable. J’étais plus forte que ce que j’avais imaginé. Mes amis ont eu la gentillesse de me dire que j’avais pris une décision courageuse, et ça m’a fait plaisir. On l’oublie parce que c’est courant, mais regarder dans les yeux une personne qu’on a aimé des mois ou des années, lui dire “c’est fini” et affronter son regard déconcerté, confus, triste, choqué, c’est tellement dur ! La banalité des ruptures par texto et du ghosting est symptomatique de la difficulté à assumer. Mais “à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire” !
J’ai aussi fait l’expérience ce que j’avais déjà écrit dans ma newsletter n°11 sur l’amitié mais qui était plus difficile à éprouver en étant en couple. Je me suis rappelé que je pouvais m’appuyer sur des relations amicales et familiales fortes et profondes. Que l’amour, la connexion, la confiance, la complicité, l’intimité, la générosité n’existaient pas qu’en couple. Et si j’ai d’abord été déstabilisée par la perte de ce regard amoureux, c’était pour mieux prendre conscience du regard bienveillant, aimant, sécurisant, respectueux, parfois admiratif de mes amis.
J’ai adoré ce passage, dans cet autre article de Philosophie Magazine :
L’amour prend des visages divers : affection parentale, attachement filial, lien fraternel, joyeuse et profonde amitié, passion amoureuse, complicité, sympathie, admiration… Et chacun de ces avatars connaît des évolutions propres. (…) Au fond, toute notre existence prend la forme d’une lutte pour la reconnaissance, pour l’amour d’autrui. Dans la Phénoménologie de l’esprit (1807), Hegel montre que nous n’accédons à la conscience de nous-mêmes qu’à travers la relation avec autrui : « La conscience de soi est essentiellement ce retour en soi-même à partir de l’être-autre. »
(…) Si l’amour que l’on nous porte est multiple, s’il ne vient pas seulement des parents et des amants, mais aussi, comme nous venons de le voir, des amis, et même de la société entière, il nous offre des ressources pour résister, pour ne pas succomber. Le meilleur moyen de rester entier, c’est peut-être de multiplier les sources d’amour.
Aujourd’hui, je me sens entourée, épanouie, libérée d’un poids. En plus de me sentir vivante, je me sens moi-même et je me laisse vivre - au risque de paraître trop ceci, pas assez cela. C’est peut-être ça, l’amour de soi dont me parlait mon amie Lucie l’autre jour. C’est aussi ce dont parlait Mai Hua au tout début de l’épisode n°5 du podcast Deuxième vie (après le divorce) :
Cet amour de soi, ça a été la grande aventure de ma vie post-séparation. Et c’est indépendant de coucher avec quelqu’un ou pas, aimer quelqu’un ou pas, être aimé en retour ou pas.
Ça n’était pas la première fois que j’entendais que le célibat était l’occasion d’apprendre à s’aimer soi, mais ça restait assez abstrait. Aujourd’hui, je le sens s’affirmer, ce regard d’amour, de fierté et de respect sur moi-même. Je sens profondément à quel point être ou ne pas être en couple ne dit rien sur la valeur, l’estime de soi ou l’épanouissement de chacun. C’est ce que rappelle Clothilde Dusoulier dans l’épisode L’amour : questions réponses de son podcast Change ma vie (alors qu’elle répond à la question : “comment savoir si on a envie d’une vie de couple ou si c’est la société qui nous renvoie cette injonction ?”)
On peut être heureux sans être en couple. On peut avoir une vie riche, pleine, épanouie, accomplie, excitante, extraordinaire, sans être en couple. Tout autant qu’en étant en couple. Ce n’est pas le fait d’être en couple qui valide notre valeur en tant qu’être humain. Ce n’est pas non plus le fait d’être en couple qui crée le bonheur et l’épanouissement - c’est la personne qu’on est, les expériences qu’on se crée, les projets qu’on poursuit, les sujets pour lesquels on se passionne, notre croissance, les relations de toutes natures qu’on choisit de nourrir. Et on peut développer tout ça en étant, ou non, en couple.
Célibataire
Le besoin de validation
Cette confiance et cette sérénité ne sont pas arrivés tout de suite. Après la rupture, j’ai vivement ressenti la perte de cette “peau d’amour”, comme la nomme joliment Claire Marin. En quittant mon amoureux, j’ai perdu son regard de désir et de fierté, et le sentiment de puissance qu’il faisait naître en moi - comme le décrit très bien Belinda Cannone :
Il te désire. Alors tu retrouves cet état bienheureux de l'enfance, quand tu croyais sans avoir besoin de te le dire que tu étais l'enfant la plus merveilleuse du monde, car c'est ainsi que te regardaient tes parents. Tu ne le pensais pas avec des mots, à peine en avais-tu conscience tant cela allait de soi. Prise dans le regard désirant de l'homme pareillement, tu n'interroges jamais ta beauté ou ta séduction, tu ne les mets pas en doute : tu es la plus belle femme du monde pour cet homme, et pour le temps de votre désir.
Les premières semaines, je me suis sentie assez vulnérable. J’ai éprouvé un constant besoin de validation et un besoin un peu excessif de me sentir jolie et désirable. Un dimanche de Mai, alors que je marchais dans la rue, un homme m’a hurlé que j’étais maigre, puis que j’étais moche. Ça m’a excédée. Au mot “moche”, je me suis retournée, et je lui ai crié de “fermer sa gueule” - “pauvre mec !!!” J’ai repris mon chemin, à la fois détendue et inquiète : et si c’était vrai ? J’ai repensé à ce garçon, en 5ème, qui avait dit qu’il me trouvait moche. A ce classement de beauté qui avait circulé dans ma classe de prépa qui me positionnait à peine dans le top 10. Ou à cet “air de ressemblance” avec une femme de 40 ans très banale, évoqué par une amie. Dépouillée du regard aimant et bienveillant de mon amoureux, n’importe quelle comparaison malheureuse pouvait réanimer mes petits complexes endormis.
Je me suis retrouvée à me toiser dans le miroir et à juger mon reflet sans complaisance, avec sévérité dans les mauvais jours. Je trouvais alors mon corps trop mince, ma peau pas assez lisse, mes fesses et mes bras pas assez musclés, mes genoux osseux, mes yeux trop ronds et mon regard bizarrement asymétrique. Je me suis approchée tout près du miroir pour faire le constat des petites cicatrices, points noirs et rides naissantes. Froide, impassible, je me suis confrontée aux petites misères de mon visage.
Il est devenu rare que je sorte de chez moi sans une tenue soignée et un léger maquillage. Voir net est désormais un peu moins important qu’être jolie, et j’enlève mes lunettes à tout bout de champ - en soirée, à des rendez-vous, quand on me prend en photo, devant une terrasse bondée. Cette coquetterie est parfois symptomatique d’un besoin de plaire et d’une peur du rejet. Quand je vois mes soeurs, je leur demande comment elles me trouvent. Souvent, elles me rassurent, mais quand elles ont l’air moins convaincu que d’habitude, je réagis au quart de tour : “Quoi ? Vous êtes sérieuses ??”
Je me sens maintenant plus apaisée par rapport à ça. Je suis toujours très coquette, mais je me met moins de pression : ça doit être un plaisir gratuit, joyeux et spontané - pas un stress ou un devoir de petite fille docile. Je prends soin de moi parce que j’aime me sentir jolie et élégante, et parce que ça me fait plaisir d’anticiper la rencontre avec un futur amant/amoureux. Un plaisir formulé avec finesse par Belinda Cannone :
Tu aimes faire cela, ces soins destinés à l’amant, comme dans l’anticipation de son amoureuse attention : tu frottes ta peau au gant de crin pour l’adoucir et tu l’oins, tu l’épiles, tu laves tes cheveux… Tu ne pourrais pas assurer qu’il percevra ton corps avec une telle minutie, mais la préparation t’enchante car soudain la chair entre en majesté et devient glorieuse.
Le retour sur “le marché”
Depuis Avril, j’ai l’impression de n’avoir jamais croisé autant de regards de mecs. Je ne sais pas si on me regarde plus ou si j’y suis plus attentive qu’avant. Souvent, ça me flatte, ça m’envoie un petit shot d’adrénaline. Bien sûr, il y a des regards irritants, comme le regard fixe et goulu d’un vieux voisin de table bedonnant, l’autre jour. J’ai pensé : “quel toupet, quand même, le type !”. Belinda Cannone décrit très bien de cette ambivalence vis-à-vis du regard de l’autre :
La belle ne voit qu’animal répugnant, gnome vorace ou monstre ignoble dans celui qui, une fois aimé, et seulement alors, se révélera prince. Le prince : l’homme dont le corps, l’intimité et le désir deviennent soudain désirables.
Quand je plais à quelqu’un qui ne me plaît pas, je deviens froide, hautaine, un peu méchante. Déjà, parce que j’ai cette peur étrange d’être encouragée à laisser sa chance au garçon. Je ne sais pas si c’est un truc de filles - parce qu’on aurait entendu trop d’histoires où le désir des hommes finit par triompher de leur dédain ou de leur dégoût - ou une histoire de personnalité - parce que j’ai plutôt tendance à être attentive aux désirs des autres et à vouloir m’y adapter.
Si je peux devenir hautaine et désagréable, c’est peut-être aussi que j’ai peur d’avoir à deviner ma propre valeur dans celle que je perçois de la personne qui m’envisage. Ce n’est ni très politiquement correct ni très romantique, mais au fond, il y a la pensée que derrière les “matchs amoureux”, il y a un mélange de mystère et de critères très objectifs. Que derrière les attirances et les unions, il y a la plupart du temps un équilibre entre les capitaux économique, social, culturel, intellectuel et physique de chacun des deux “partis”. Ce qui expliquerait l’inquiétude narcissique d’être convoité/dragué par quelqu’un qu’on trouve objectivement “moins bien”, surtout dans une période où l’on a besoin de situer son “capital érotique”.
Victoire Tuaillon explique cette notion, au départ développée par la sociologue Eva Illouz, dans l’épisode Le Marché du coeur, issu du génial podcast Le Coeur sur la table.
Le capital érotique, c’est une notion qui a été développée par Eva Illouz, une grande intellectuelle qui a bouleversé nos conceptions des sentiments et de l’amour, en les examinant par le prisme de la sociologie plutôt que de la psychologie. Dans Pourquoi l’amour fait mal et La fin de l’amour, Eva Illouz montre comment la logique capitaliste a infiltré nos sentiments. Parce qu’on applique, même à nos relations intimes, une mentalité de consommateurs : choisir la meilleure personne, avec des critères de plus en plus précis. Parce qu’on s’habitue à se considérer et à nous évaluer comme des marchandises. On se sent alors soi-même comme une marchandise, interchangeable, jetable, programmée pour l’obsolescence. (…) Ça donne des remarques comme : “Je vaux mieux que lui !”, “Je mérite pas mieux qu’elle ?”, “Est-ce que j’ai pas sous-chopé ?”
J’ai beau essayer me protéger de cette logique de marché en refusant de m’inscrire sur Bumble ou Tinder, cette angoisse liée à ma valeur montre bien qu’elle dépasse le cadre des applis. Heureusement, ce n’est pas une fatalité : apprendre à s’aimer soi et se détacher de ce besoin de validation pourrait bien faire “exploser le marché”.
L’attente
A peine avais-je quitté Pierre que je pensais à la prochaine histoire. Comme pas mal de gens, je cherche l’amour - formule qui me fait penser au monologue de L’Homme qui aimait les femmes, un joli film de Truffaut :
Mais que veulent-elles, toutes ces femmes ? La vérité, je vais vous la dire. Elles veulent la meme chose que moi. Elles veulent l'amour. Tout le monde veut l'amour. Toutes sortes d'amours. L’amour physique et l’amour sentimental, ou même simplement la tendresse désintéressée de quelqu’un qui a choisi quelqu’un d’autre pour la vie et ne regarde plus personne.
L’amour est ma plus grande obsession. Conditionnée comme je suis à la quête du grand amour exclusif, il me semble qu’aimer et être aimé rend la vie plus intense, vivante, excitante, tendre et sensuelle. J’ai beau avoir lu et adoré les BD de Liv Stromquist qui dissèquent et tournent en dérision cette religion de l’amour romantique, la croyance que l’amour va me permettre de trouver un sens à ma vie et d’être heureuse ne me quitte pas.
Et je suis loin d’être la seule. Dans cet article, Nicolas Grimaldi est aussi très enthousiaste :
C'est la seule justification de l'existence, sa plus bouleversante intensité, sa presque unique joie, et son constant, son obsédant tourment. Il n'est si bienheureuse plénitude qu'il ne promette, ni si profond malheur qu'il ne cause. Par amour, il n'est rien de si précieux qu'on n'accepte de perdre, ni si absurde péril auquel on ne s'expose.
Tantôt l'amour est donc une grâce qu'on reçoit, et dont le principal effet est l'assurance qu'il ne finira pas. Tantôt c'est une grâce qu'on voudrait pouvoir donner : ce surcroît de joie, d'élan, de confiance et de force, qui transfuserait en un autre être cette vitalité qui est en nous, et que nous ne sentons s'accomplir que si un autre en jouit. L'une et l'autre expériences nous délivrent de notre solitude.
Pour Raphaël Enthoven, l’amour est un remède à l’absurdité du monde :
À mon sens, le sentiment amoureux est métaphysique, il tient au fait que nos vies n’ont aucun sens. Dans une vie qui n’a pas de sens, l’essentiel est d’aimer et d’être aimé. L’amour est une vertu collatérale de l’absurde. (…) C’est la position de Camus. Devant un ciel vide et une existence qui n’a pas de sens, il n’y a qu’une injonction : aimer autant que possible. Chaque existence est un effort pour reconduire cet effort-là.
J’ai conscience d’avoir été formatée à cette quête, mais aujourd’hui, cette religion me convient - tant que trouver l’amour n’est mon unique objectif de vie. L’amour, au sens large, me semble aussi une réponse à ce besoin d’altérité si joliment décrit par Belinda Cannone dans Petit Eloge du Désir :
Mystère du désir de partage de la beauté : “Regarde !”, “Ecoute !”. Toujours les humains éprouvent le besoin spirituel de jouir ensemble, de communier dans la perception de la splendeur du monde.
Mystère de la caresse qui révèle une haute vérité du désir : si tu passes délicatement ta main sur ton épaule, tu ne ressens qu’un plaisir fugitif - à peine ta sensation mérite-t-elle ce nom. Mais s’il caresse ton bras, ta peau frissonne sous ses doigts et tu t’émeus. La caresse n’en est une que donnée par l’autre, signifiant mille choses que tu ne sais démêler - intention douce, offrande, attention, désir - mais qui provoquent une émotion sans pareille. La caresse célèbre l’altérité.
Nicolas Grimaldi, cite aussi ce bonheur de la confiance, du lâcher-prise, de l’innocence retrouvée avec quelqu’un - un sentiment bouleversant qu’on peut trouver dans l’amitié mais qui ne peut exister dans l’amour physique qu’avec un amant ou un amoureux.
Une révélation "surnaturelle" de l'amour, c'est qu'il existe quelqu'un dont je n'ai pas spontanément à me méfier. L'état d'innocence semble retrouvé. Entre nous, rien ne fait d'ombre, pas d'arrière-pensées, la peur n'a pas lieu d'être. Pas plus que la pudeur. Ni la honte. Elle m'aime comme je suis, je la prends comme elle est…
De Mars à Juin, j’ai vécu successivement deux sortes d’attentes. D’abord, l’attente de tomber amoureuse, accompagnée d’une espèce de fièvre de rencontres. Chaque nouveau coup de coeur était la promesse d’un regain d’énergie, d’un divertissement grisant, d’un joyeux emballement. Amoureuse, une chanson de Clio que j’adore, décrit très bien tout ce pour quoi c’est trop bien de tomber amoureux.
Dans cet épisode du programme Un été avec Proust, Nicolas Grimaldi fait d’ailleurs une fine typologie des attentes amoureuses du narrateur d’A la recherche du temps perdu :
Il existe plusieurs figures de l’attente amoureuse :
L’attente de la possession. C’est lorsque Proust évoque cette jeune fille, sur le pont près de l’église, et qu’il se dit, en gros : “ah si je pouvais la fasciner, si elle pouvait plus ne penser qu’à moi !”
L’attente de l’exotisme, ou l’attente d’être initié à des manières de vivre dont ma propre vie me prive. C’est ainsi que l’amour aura, souvent chez Proust, la fonction de nous faire pénétrer dans un autre monde, avec un autre rythme, avec d’autres points cardinaux. S’il est amoureux de Madame de Stermaria, c’est parce qu’il espère goûter sur elle la saveur de la Bretagne, de l’écume, des rochers. Si il est amoureux d’Albertine, c’est parce que son impertinence, sa liberté, son insolence lui fait rêver d’une vie qui lui est interdite. De même, rêve-t-il d’être introduit dans le monde aristocratique par la Duchesse de Guermantes.
Une fois que j’avais identifié quelqu’un sur qui porter mon attention, je rentrais dans un deuxième type d’attente. L’attente de ses regards, de ses messages, de ses likes sur mes posts Instagram, des signes de son attention... Dans Fragments d’un discours amoureux, Roland Barthes décrit cette attente que subit fatalement l’amoureux :
Suis-je amoureux ? Oui, puisque j’attends ! L’autre, lui, n’attend jamais. Parfois je veux jouer à celui qui n’attend pas, j’essaye de m’occuper ailleurs, d’arriver en retard, et à ce jeu, je perds toujours. Quoique je fasse, je me retrouve désoeuvré, exact, voire en avance. L’identité fatale de l’amoureux n’est rien d’autre que : “je suis celui qui attend”.
A plusieurs reprises, mon attention s’est fixée sur des copains ou des garçons que j’avais croisés. Un rien suffisait pour que je me dise “tiens, ce serait pas lui mon futur mec ?”, que la machine se mette en route et que je crée tout un fantasme autour du garçon. Comme le rappelle ici Nicolas Grimaldi : cette personne aimée, “je l’invente, plus que je ne la choisis” :
Cette personne que nous aimons sans la connaître, et qui ne nous est si présente que parce que nous la recréons sans cesse en l'imaginant, un tout simple hasard en fait l'objet de nos rêveries. Nous l'avons fortuitement inventée plutôt que nous ne l'avons choisie. Mais son image nous est désormais si intime, si obsédante, que nous ne pouvons plus nous en détacher.
A partir de là, je ne pensais plus qu’à ça et mes rêveries prenaient tout mon espace mental. Les courses, le travail, les élections, la guerre en Ukraine, le changement climatique… Tout me semblait soudain secondaire. J’étais bien obligée de vivre et de travailler, mais c’était sans plaisir, en mode pilote automatique. Je posais plein de questions à nos amis communs. C’est quoi son style de meuf ? Elle sont comment ses ex ? Tu nous verrais ensemble toi ? Toute activité sans lien avec la personne me demandait un effort titanesque. Je me suis beaucoup reconnue dans Passion Simple, un petit livre d’Annie Ernaux dans lequel elle décrit l’obsession qu’elle a ressentie pour un homme :
A partir du mois de septembre l’année dernière, je n’ai plus rien fait d’autre qu’attendre un homme : qu’il me téléphone et qu’il vienne chez moi. J’allais au supermarché, au cinéma, je corrigeais des copies, j’agissais exactement comme avant, mais sans une longue accoutumance de ces actes, cela m’aurait été impossible, sauf au prix d’un effort effrayant.
Ce qui m’étonne à chaque fois, c’est le décalage entre ces efforts que je me sens prête à déployer pour plaire au garçon en question ou m’en faire remarquer… et l’indifférence, la fatigue, la lassitude que je ressens vis-à-vis du reste.
Je me suis également sentie moins seule en lisant cette newsletter d’Ava Huang, où cette dernière analyse cette obsession amoureuse, nommée “limérence” par une psychologue et appelée “maladie de l’amour” sur les forums et sites de psycho.
The psychologist Dorothy Tennov coined the term limerence, which is the obsessive, all-consuming feeling certain people get when they fall in love. She writes about it in depth in her book Love and Limerence.
The most prominent characteristic of limerence, as she explains it, is : 1) intense fixation on whether your feelings are reciprocated, 2) obsessive preoccupation with the love object. The greater the degree of uncertainty, the more intensely the individual ruminates about the Loved One, and the greater the desire for reciprocation.
Tout ça m’a fait repenser à Une histoire d’amour sur un bateau, un épisode du podcast Transfert que j’avais adoré. Mariette y racontait son choc quand, au milieu d’une foule, elle avait vu Tom, dont la présence l’avait envoûtée. La conviction soudaine qu’ils étaient faits l’un pour l’autre, le besoin vital de le retrouver pour vivre une aventure avec lui. Je ne suis jamais allé aussi loin que Mariette dans la poursuite d’un mec, mais je m’étais reconnue dans cette conviction, cette impulsivité, cette obsession qui prend toute la place.
J’ai retrouvé ce sentiment de torture de ne pas être vue de l’autre, ce qui m’a rappelé le lycée et les heures de cours interminables qui précédaient les pauses où j’aurais peut-être l’occasion d’apercevoir mon crush et d’en être aperçue. Ces conversations de cour de récré auxquelles je participais mollement, les yeux parcourant l’horizon à la recherche d’une veste bleue marine ou d’un sac à dos bordeaux. Mes yeux soudain brillants et mes grands éclats de rire à son apparition. Ma déception et ma lassitude quand, pour une raison mystérieuse, il n’était pas là. Aujourd’hui, Instagram est parfois le seul moyen de rappeler à l’autre qu’on existe. Je me suis mise à vérifier que l’autre avait liké mon post ou vu mes stories dont il était, sans le savoir, devenu le premier destinataire.
Pour l’instant, le délire a toujours pris fin à un moment, sûrement parce que je suis plus lucide et plus exigeante qu’avant. J’attend toujours !
La pression
Peut-être parce que je ne savais pas comment je voulais vivre cette période de célibat, j’ai été un peu vulnérable à une forme de pression sociale, catégorie “comment vivre sa meilleure vie de jeune célibataire”.
Je tombais amoureuse tous les 4 jours, mais ça restait très passif et platonique. Certains amis ont eu l’air surpris du calme plat dont je leur parlais. Un soir, j’ai raconté à une copine que ma vie sentimentale était très calme, que je ne rencontrais pas grand-monde et que j’avais la flemme de m’inscrire sur une appli. Elle m’a mis un petit coup de pression : “Ba enfin ! Ça va pas te tomber dessus ! Faut se sortir un peu les doigts, rencontrer des gens, aller dans des bars !! ”
Sur le coup, je me suis dit qu’elle avait raison. Je devais profiter de ma jeunesse, passer ma vie dans les bars à draguer tout ce qui bouge, enchaîner les aventures, m’éclater. Je me suis rappelé les histoires torrides de certaines copines célibataires et j’ai commencé à ressentir un sentiment de Fomo, occasionnellement accentué par les gémissements nocturnes de mes voisins qui m’ont excessivement agacée ces dernières semaines. Je me suis mis un ultimatum du genre : “si cet été je ne rencontre personne “naturellement”, je me mets sur une app à la rentrée.”
Quelque part, il fallait que je réussisse ma vie de célibataire et que je sois du côté de “ceux qui ken”. Ça m’a rappelé le super podcast Free from desire, dans lequel Aline Laurent-Mayard raconte comment elle a découvert et accepté son asexualité. Elle en profite aussi pour rappeler à quel point notre société est obsédée par l’amour et le sexe, et dédramatiser le fait de ne pas toujours avoir une sexualité active. Il m’avait permis de prendre conscience de la pression qu’on se met autour de tout ça, c’était rafraîchissant et libérateur.
Au même moment, j’ai pris conscience que je rencontrais beaucoup moins de gens qu’en école, surtout en étant en freelance. J’ai commencé à imaginer le pire. Et si je ne rencontrais jamais personne ? Et si je finissais vieille fille ? J’ai revu When Harry met Sally, une comédie romantique que j’adore et qui n’a pas pris une ride depuis sa sortie en 1989. Je me suis tout à fait identifiée à la crise d’angoisse de Sally, juste après qu’elle ait appris que son ex s’était marié. Elle finit en larmes, dans les bras d’Harry.
Sally : “And I’m gonna be fortyyyy”.
Harry : “Sally, when are you gonna be forty ?”
Sally : “In eight yearsss…”
Il m’aura fallu 2-3 mois pour m’apaiser et commencer à m’écouter. Accepter que je n’ai aucune envie de m’inscrire sur une appli, où le rituel de rencontre me semble dénué de mystère, d’animalité et de spontanéité. Accepter que pour ressentir du désir pour quelqu’un, j’ai besoin de temps, de liberté, de confiance et de cette délicieuse ambiguïté qui monte tout doucement. Que l’horizon d’un ou deux verres m’oppresse. Que je me sens incapable de projeter une potentielle attraction sur une photo et une description. Que j’appréhende les face à face décevants et sans sortie de secours. Bref, que j’ai pas envie !
Je pourrais juste chercher à m’amuser un peu, mais je suis trop sentimentale. Pour avoir vraiment envie de coucher avec quelqu’un, j’ai besoin d’un coup de coeur. Là-dessus, je me sens parfois un peu dissonance avec notre époque. Ça m’a fait plaisir de me retrouver, encore une fois, dans le personnage de Sally qui un jour, se dispute avec Harry à ce sujet.
Harry : If you’re so over Joe, why aren’t you seeing anyone ?
Sally : I see people !
Harry : You see people… Have you slept with one person since you broke up with Joe ?
Sally : What the hell ? So that will prove I’m over Joe ? Because I fucked somebody ? Harry, you’re gonna have to return to New Jersey, because you slept with everybody in New York and I don’t see that turning Helen into a faint memory for you ! Besides, I will make love to somebody when it is making love, not the way you do it, like you’re out for revenge or something.
Bref, je commence à me détacher des “profite de ta jeunesse”, “t’auras pas 25 ans toute ta vie”, “c’est le moment où il faut se faire plaisir”. Et à accepter qu’en ce moment, ma vie amoureuse ressemble moins aux aventures de Sex & the City qu’à celles des romans courtois du Moyen-Âge.
Je me détache un peu de ce schéma d’escalator relationnel, comme le nomme Victoire Tuaillon dans l’épisode La princesse et l’escalator. Au début de ma vingtaine, une étape devait forcément en entraîner une autre, et ainsi de suite jusqu’à des projections de très long terme. Si il ne se passait rien après une petite drague, un bisou ou une nuit avec un mec, je le prenais très personnellement. Le fait que le mec ne me plaisait pas tant ça n’y changeait rien. Me défaire de cette attache au schéma, de ma peur du rejet et de ma tendance à me projeter tout de suite change complètement mon rapport à la séduction.
Tout ça doit être très personnel - d’autres auront peut-être envie de balancer injonctions au couple par-dessus bord et d’enchaîner les coups d’un soir. D’ailleurs, ma vision des apps de rencontre paraîtra sûrement snob, désuète et étriquée à certains, mais ce n’est pas le sujet. Je veux surtout dire qu’il appartient à chacun de vivre sa vie et sa recherche (ou non recherche) de plan cul, amant, maîtresse, plan à 3, copain, copine, femme, mari, comme il ou elle l’entend.
Je crois aussi qu’on peut espérer retomber amoureux et retrouver quelqu’un un jour sans pour autant dédier tout son temps et son énergie à ça.
Là encore, Clothilde Dusoulier pose les bonnes questions :
Si j’identifie de bonnes raisons d’être en couple ( à part “la paix qu’on me ficherait si je rentrais de nouveau dans le rang”), la question importante à se poser, c’est : “qu’est-ce que ça me coûterait, en temps physique et mental, en énergie, en efforts et en compromis ?”. Au nom de la recherche et l’identification de cette personne, au nom de l’établissement de cette relation, qu’est-ce qu’il faudrait que j’investisse, et à quoi faudrait-il que je renonce ? C’est ça, l’ultime liberté qui se regagne sur notre conditionnement social : la liberté de disposer de son temps, de son énergie, de ses ressources pour les investir dans ce qui nous tient le plus à coeur, ce qui nous permet de vibrer et de briller.
Pour l’instant, j’ai envie de prendre mon temps, de rencontrer des amis d’amis au compte-goutte et de laisser les choses se faire naturellement - quitte à ce que ça soit un peu lent. De chercher un mec de manière détournée, l’air de rien. Heureusement, je suis plutôt sociable et j’accepterai toujours avec plaisir les invitations de dîners, verres, week-ends et soirées.
En tout cas, cette “période d’ascèse”, comme l’appelle mon amie Diane, n’est pas si ennuyeuse que ça. Sans forcément que ça débouche sur quelque chose, je savoure les petites ambiguïtés. Je garde l’oeil ouvert, je reste un peu un radar à mecs, je suis un peu dans la séduction, et c’est apaisé, marrant et joyeux - et surtout sans stress, sans pression, sans besoin de forcément passer à l’étape supérieure. Et je me sens beaucoup plus épanouie, désirable et vivante qu’à la fin de ma relation, quand ça n’allait plus.
Se faire confiance
Avoir envie de partir suffit
En octobre, j’ai vu l’adaptation moderne de Scenes from a marriage réalisée par Hagai Levi, qui nous plonge dans la dérive d’un couple moderne américain. Dans le premier épisode, Mira annonce à Jonathan qu’elle doit partir. Elle a du mal à expliquer cette décision brutale : elle l’aime, mais ce n’est pas le sujet. Et si sa décision a d’abord l’air tout à fait impulsif, confus et irrationnel, on sent au fur et à mesure des épisodes que cette séparation lui permet de retrouver sa vitalité.
Dans A Marriage Story, le film de Noah Baumbach, on comprend que la déconnexion grandissante entre Nicole et Charlie ne vient pas d’un manque d’amour mais d’un manque de reconnaissance destructeur pour elle (lié aux compromis qu’elle a fait pour son mari).
Depuis ma rupture, je me suis posée beaucoup de questions. Qu’est-ce qui n’avait pas marché ? Est-ce qu’on avait rompu parce qu’on avait plus les mêmes modes et rêves de vie ? Des personnalités pas si compatibles que ça ? Des besoins respectifs que l’un et l’autre ne pouvaient satisfaire ?
Dans cet entretien accordé au journal Le Point, Nicolas Grimaldi déclare qu’il serait vain de vouloir expliquer l’amour et l’attraction :
Parmi toutes les puérilités proférées par les philosophes au sujet de l'amour, la plus grande consiste à vouloir lui trouver des causes rationnelles. La beauté et les perfections de la femme aimée expliqueraient l'irrésistible attraction qui porte un homme vers elle. Et pourtant, on aime quelqu'un bien avant d'avoir aucune raison de l'aimer. Inutile de convoquer le coup de foudre, car il n'y a pas d'expérience plus banale : on aime une personne avant même de la connaître, et non pas parce qu'on la connaît !
Pourtant, aujourd’hui, j’ai l’impression de comprendre ce qui n’allait plus entre Pierre et moi. Mais cette clarté et cette rationalisation sont arrivées bien après l’intuition qu’il fallait que ça s’arrête. C’est aussi pour ça j’ai eu du mal à me faire confiance cet hiver. Quand j’essayais d’expliquer à des copains ce qui n’allait pas, mon discours était confus, fragile, plein de contradictions. Tout allait bien sur le papier, et je ne trouvais aucune bonne raison de partir.
En fait, mes “doutes” ont d’abord été des sensations et des émotions : irritation, baisse du désir, stress, tristesse, manque d’enthousiasme et de curiosité, sentiment d’être éteinte. Comme leurs causes m’échappaient, je m’en suis méfiée. Trois mois plus tard, je me rend compte à quel point il était salvateur de suivre mon instinct, si confus soit-il.
Dans son article Why I ended a happy relationship, Haley Nahman écrit :
Suddenly it became stunningly clear that no matter how robust my list of reasons to be with him, none of it mattered if I simply didn’t want to.
Je suis en train de me faire à l’idée que nos émotions et nos sensations peuvent avoir une longueur d’avance sur notre cerveau rationnel, et que notre obsession à vouloir tout expliquer peut devenir contreproductive lorsque, pour protéger un raisonnement, une théorie, une idée ou une liste d’arguments, on se retrouve à nier /dénigrer un ressenti physique et émotionnel.
Dans l’article What if you just trusted yourself, Haley Nahman propose de voir cet instinct comme une forme d’intelligence affranchie d’égo, de schémas pré-établis et d’influences extérieures. Il serait, selon elle, l’expression de nos désirs les plus profonds.
I’ve been thinking a lot about these “gut feelings,” or the intelligence buried under our moods. They’re the instincts that don’t necessarily line up with our more intellectual frameworks, which is why following them can feel risky or chaotic. But when I think back to times I’ve dared to follow a gut instinct, they map almost perfectly to my most cherished decisions. Not just big ones, like moves and breakups, but even tiny ones, like haircuts and conversations with friends.
The inexplicability of the gut is probably why some people talk about it as if it’s mystical. But I think what we experience as a “gut feeling” is simply us at our most honest - proof that some tucked-away part of our brain remembers everything, not just what we want to remember, knows what’s true instead of what we want to be true, and understands who we are instead of who we want to be. It’s unencumbered by fear, insecurity, and pro-con lists. Listening to it means trusting our subconscious knows something our pragmatic mind doesn’t.
Si j’ai beaucoup hésité à rompre, c’est aussi qu’il me semblait qu’il ne fallait pas céder à la tentation de “la facilité”, qu’il fallait qu’on se batte. Aussi j’ai eu une petite révélation quand j’ai lu cette édition de la newsletter Bookbear Express. Ava Huang y rappelle la différence entre les difficultés et le doute.
In my late teens and early 20s, I thought something was right, even though it felt wrong all the time. Why? Because I over-intellectualized everything and I was so out of touch with my actual needs.
Here’s what I didn’t understand back then: something being hard is different from something being wrong for you. When something is hard, you might be incredibly uncertain about the outcome, but you’re probably confident in the path, both the day-to-day process of it and the value and the joy. When it’s wrong, it’s out of whack with your basic needs.
En lisant ça, je me suis rendue compte que j’avais eu, à plein de moments de ma vie, du mal à faire la part des choses entre ce qui est “difficile” et ce qui sonne “faux” - dans le travail, mais surtout en amour. Ava donne une technique assez simple pour avancer : si on a des doutes tout le temps, si la pensée de partir nous effleure régulièrement, si on doit se raisonner pour y croire… c’est simplement que ça ne marche pas, ou plus.
Something a friend said to me that blew my mind: if you’re in the right relationship, you probably won’t be second-guessing it all the time in the back of your mind.
Simple but radical, right? And yet it’s so hard to believe. What if it’s the right person but not the right time? What if I’m too immature to realize? Fuck that noise. If it’s the right thing, you will want to stay. You will not always, always, always think about leaving. When you find the right thing, you won’t need to overthink it or manipulate a thousand different things to make it go right.
Il vaut peut-être mieux raisonner comme ça, car il y a des ruptures qu’on ne comprendra jamais. La journaliste Cheryl Strayed, sous le pseudo "Sugar”, raconte qu’elle s’est séparé d’un premier mari et qu’elle vit maintenant depuis 16 ans avec un homme qui ressemble beaucoup au premier. Selon elle, rien n’explique vraiment que ça fonctionne davantage avec le second qu’avec le premier. La seule différence, c’est cette mystérieuse petite voix qui lui a dit de s’en aller avec l’un, et pas avec l’autre.
My two marriages aren’t so different from each other, though there’s some sort of magic sparkle glue in the second that was missing in the first. I didn’t want to stay with my ex-husband, not at my core, even though whole swaths of me did. And if there’s one thing I believe more than I believe anything else, it’s that you can’t fake the core.
Les explications du style “c’est mystérieux et c’est comme ça” me frustrent, mais je peux concevoir qu’on a pas assez d’informations et de recul pour tout comprendre. On a beau tenter d’expliquer le sentiment amoureux ou les recettes du couple longue durée à l’aide de grilles de lecture sociologiques et psychologiques, le cocktail qui crée cette “magic sparkle glue” ou ce “sentiment d’évidence” dont certains parlent nous échappera toujours un peu. Ses ingrédients - sociologiques, psychologiques, mais aussi chimiques, culturels, contextuels… - sont peut-être trop nombreux, et leur mélange trop imprévisible.
D’où le conseil de Cheryl Stayed à ces 5 femmes :
Go, even though you love him. Go, even though he’s kind and faithful and dear to you. Go, even though he’s your best friend and you’re his. Go, even though you can’t imagine your life without him. Go, even though he adores you and your leaving will devastate him. Go, even though your friends will be disappointed or surprised or pissed off or all three. Go, even though you once said you would stay. Go, even though you’re afraid of being alone. Go, even though you’re sure no one will ever love you as well as he does. Go, even though there is nowhere to go. Go, even though you don’t know exactly why you can’t stay. Go, because you want to. Because wanting to leave is enough.
Un jour, mon ami Charles m’a dit : “les trucs bien pour nous, on les sent avec les tripes”, et je crois qu’il a raison. Que même si on essaie de les ignorer, on ne peut pas grand-chose contre ces émotions viscérales, souvent irrémédiables - comme le mépris de Brigitte Bardot pour son mari dans le film de Jean-Luc Godard.
David Hume, philosophe écossais du 18ème siècle, pensait que l’expérience, les sens, les émotions nous guident mieux que les idées et les théories. Selon lui, il est vain d’essayer de comprendre la cause profonde de nos agissements, dont les ressorts nous échappent. Perceptions, sensations et émotions seraient les seules vérités à notre portée.
“Pour ma part, quand je pénètre au plus intime de ce que j’appelle moi, je tombe toujours sur telle ou telle perception particulière, de chaud ou de froid, de lumière ou d’ombre, d’amour ou de haine, de douleur ou de plaisir.”
“Mon intention n’a jamais été de pénétrer la nature des corps ou d’expliquer les causes secrètes de leurs opérations. Car je redoute qu’elle soit hors de portée de l’entendement humain et que nous ne puissions jamais prétendre connaître les corps autrement que par les propriétés externes qui se découvrent d’elles-mêmes à nos sens.”
(Comme vous vous en doutez peut-être, je n’ai pas lu Traité de la nature humaine, mais Victorine de Oliveira en explique les grandes idées dans cet article).
Faire des choix qui nous rendent heureux nécessiterait donc de s’écouter et de prendre au sérieux nos sensations et nos “passions”, selon Hume. Dans cette très belle édition d’Ask Polly - newsletter dans laquelle Heather Havrilesky, dans son rôle de marraine un peu rock'n'roll, répond aux questions existentielles de ses lectrices - la journaliste écrit sur l’importance d’être à l’écoute de ses sensations et de ses désirs, y compris les plus surprenants et les plus bizarres, pour faire des choix qui nous rendent heureux et vivants :
The world tells people they have enough : Why can’t you enjoy it ? Look how luck you are ! What is wrong with you ? Oh man it’s dumb, so fucking dumb. I’m still living on planet earth. You know what’s nice about living here? I know what I love now. I know how I feel. I don’t care about dirty windows but I do care about my fucking hair, so it looks better now. I don’t care about writing for the special places, but I do care about writing things that feel special to me, so that’s what I focus on.
Stop telling yourself what you SHOULD be feeling and just feel what you feel instead. Then, you decide what you value based on how you feel. You have to tune into what you feel and make adjustments. Say no to things that drag you down and say yes to things that lift you up, and keep feeling everything.
You can’t protect yourself from desire itself. You have to remain vulnerable to it. Because it’s your doorway to feeling more alive and more joyful. You notice how you feel, notice what turns you on, notice what turns you off. You give yourself space to be a human animal who wants what it wants. For me, the kind of wanting that’s delicious is more sensual and less ego-driven.
Claire Marin rappelle d’ailleurs qu’on peut réussir sa vie, objectivement, tout en se trahissant et en se rendant malheureux.
Réussir se fait parfois au prix d’une trahison intime, qui finit par donner l’impression de jouer une comédie insupportable. Je peux jouir de tous les attributs d’une réussite professionnelle et sociale et avoir le sentiment d’être passé à côté de ma vie.
Plus j’avance et plus j’ai envie de faire confiance à cette part intuitive, animale, qui semble guider vers les meilleurs décisions. En amour, c’est peut-être le coeur qui bat, le sourire qui se forme tout seul, la joie, le rire nerveux, l’envie de suivre la personne partout, et ces “papillons dans le ventre” pourtant discrédités.
Profiter du célibat pour se poser les bonnes questions
Dans le super épisode Qu’est-ce qui pourrait sauver le couple ? du podcast Vivons heureux avant la fin du monde, Delphine Saltel rappelle que les deux tiers des gens qui se séparent se remettent en ménage dans les deux années qui suivent, selon les chiffres de l’Insee. Il est donc statistiquement probable que je me retrouve dans une nouvelle relation dans pas si longtemps (et là, bam ! 8 ans de solitude !). Et je n’ai pas envie de ressortir avec quelqu’un sans avoir profité de cette page blanche pour prendre un peu de recul.
On a encore tendance à juger le célibat comme une période ingrate et à souhaiter cette dernière la plus courte possible. Je pense qu’on en sous-estime les enseignements. En ce moment, j’ai un peu l’impression d’être entre deux boulots, et je profite de cette période de « chômage » amoureux et sexuel pour faire le bilan, m’informer, en discuter avec mes amis et ma famille.
Les podcasts et les articles que j’ai découverts alors que j’étais en couple n’ont plus la même résonance aujourd’hui, car je sais que j’ai tout à inventer dans une prochaine relation. Je réécoute Le Coeur sur la Table, je lis des articles sur le mariage ouvert, je pose un milliard de questions à mes parents sur leurs potes, pour comprendre pourquoi certains couples sont toujours mariés et heureux après 35 ans de mariage quand 30% des couples français lâchent l’affaire au bout de 5 ans de vie commune. Je me demande ce dont j’ai envie, et avec qui. Un peu comme Swann Périssé dans sa vidéo 30 ans d’échecs amoureux, je passe en revue mes chagrins d’amour, mes fails et mes séparations et je me demande, à chaque fois, ce qui n’a pas marché.
Au fond, je ne suis pas sûre qu’il sortira un modèle révolutionnaire de cette période d’introspection. Comme Delphine Saltel, il est très possible que même en ayant lu Virginie Despentes et Constance Debré, je continue à “m’accrocher à ce vieux modèle du couple hétéro et de la famille nucléaire”. Mais au moins, je l’aurais choisi en connaissance de cause. Et si un jour ça ne me va plus, je connais quelques alternatives.
Et puis, j’ai envie de comprendre l’origine et les limites de ce modèle, truffé d’injonctions contradictoires et donc un peu bancal. J’ai aussi envie de faire le tri entre les normes qui me conviennent et celles qui me pèsent, histoire de réinventer un peu ce “kit du couple hétéro monogramme prêt à l’emploi”, comme le nomme Delphine Saltel.
Ce qui est sûr, c’est que cela implique de pouvoir se reprogrammer, comme la réalisatrice le souligne vis-à-vis de la question de la monogamie :
En pratique, j’ose pas trop imaginer comment je réagirais si mon conjoint m’expliquait qu’il a besoin de passer une nuit dehors de temps en temps. En 12 ans de vie commune, je n’y ai même pas pensé. Je me dis que je n’en ai pas envie, pas besoin, mais c’est plus probablement que je ne suis pas capable de me reprogrammer, comme la majorité des hétérosexuels autour de moi, d’ailleurs. Je suis configurée sur la version de base du logiciel : monogame, cohabitant, traditionnel. Et j’ose pas trop aller bidouiller dans les paramètres.
D’ailleurs, je n’ai pas spécialement envie de me mettre la pression pour “évoluer” ou “me déconstruire”. Explorer de nouvelles manières de faire doit rester une envie et un plaisir, pas devenir une nouvelle injonction ! Mais je trouve sincèrement intéressant, rafraîchissant et libérateur de prendre conscience des schémas dont j’ai hérités et d’intégrer d’autres grilles de lectures. Comme dit encore Delphine Saltel :
Au fond, on serait tous un peu comme des millefeuilles, des carottes géologiques avec différentes couches, pas forcément cohérentes entre elles. Alors c’est pas facile de tout faire cohabiter à l’intérieur de nous : les vieux schémas profondément incrustés et l’envie de les déconstruire. On hésite, on se contredit, on s’emmêle les pinceaux. Mais au moins, ça fait qu’on se pose des questions. Et c’est peut-être ce qui compte, au fond, pour avancer.
Depuis ma rupture, j’ai pris conscience de ce dont je n’avais plus envie. Par exemple, d’attendre la validation de mon mec tout le temps - c’est à moi de prendre confiance en moi. Par exemple, du couple fusion sans espace ni respiration, qui me rappelle le terrible isolement d’Ariane et Solal à la fin de Belle du Seigneur. J’ai envie de prendre soin de mes amitiés, de faire des rencontres, de continuer le théâtre, de m’investir dans mes projets, de faire la fête. C’est aussi ce que dit le philosophe Pierre Zaoui dans cette très belle interview parue dans Le Monde :
Nul couple n’est une île, même les couples les plus fusionnels, et vivre ensemble sans discontinuer peut devenir terriblement mortifère. Toute la nourriture du dehors – celle qui alimente désirs, conversations, divertissements – se tarit, et même les plus beaux couples d’amoureux risquent de se transformer en couples survivalistes. Et c’est tellement triste, un couple survivaliste.
J’ai envie de trouver quelqu’un avec qui la parole est libre et facile, avec qui il y a une grande connection émotionnelle. Ça peut sembler évident, mais je ne compte pas les coups de coeur que j’ai eu pour des garçons avec qui je n’arrivais pas à échanger plus de 3 phrases sans me prendre la tête. Dans son article The Agony of Eros, Ava Huang raconte :
When I was in my late teens or early 20s I would sometimes be in the early stages of dating someone and feel like there was a glass wall between us, I just didn’t really get them, I didn’t know what they wanted from me, and it was so hard for me to have any clarity about who they really are. But I would be like : “well, objectively this person is hot and smart and cool. So why wouldn’t I want to date them?” Answer: because you can’t really talk to them, dumbass.
Il y a des gens avec qui les barrages disparaissent et la parole s’écoule - parfois en un joyeux flot, parfois en un jaillissement tonitruant. L’important, c’est que ça circule, que ça ne croupisse pas. Pouvoir échanger tout type de parole, c’est ce qui fait un “couple vivant”, écrit encore Pierre Zaoui.
Un couple vivant l’est parce qu’il est capable de parler et de se parler, sans jamais trop craindre incompréhensions et malentendus. Parler les désaccords, les impasses, les frustrations. Parler l’éternelle difficulté à parler. Mais aussi parler les joies et les espérances, car il n’est jamais sûr d’avance qu’elles soient aussi claires pour l’un que pour l’autre. Donc pas seulement la parole négociante, ni seulement la parole pleine, riche de significations, mais aussi la parole poétique ouvrant des chemins imprévus, et encore la parole vaine, celle qui n’est faite que pour passer le temps et un peu d’affect.
A l’opposé, le couple en crise, c’est toujours le couple qui ne sait plus se parler du tout, même pas bavarder. On sait d’avance que cela va mal finir, même quand ça ne finit pas : il existe tant de couples de taiseux où l’un ou l’autre ne sait toujours pas au bout de cinquante ans avec qui il vit, ni si seulement ils ont bien vécu ensemble. Autrement dit, le vrai ciment du couple ne me semble ni l’amour, ni le sexe, ni l’intérêt ou l’avantage commun, mais la parole.
Pierre Zaoui précise que “parler sans relâche ne signifie surtout pas tout dire et tout se dire”, et je trouve ça très juste : quelle plus belle marque d’amour que le respect des silences, de l’espace, du jardin secret de l’autre ? (Sauf si c’est la gêne qui nous retient, bien sûr !)
Mais il y a un autre art de la discrétion propre aux couples. Un art de l’éclipse, du retrait, de la suspension de soi. Et c’est un art essentiel, car même dans les couples les plus heureux, le conjoint est toujours potentiellement un intrus, un juge et un boulet. Il est donc extrêmement important de savoir laisser l’autre respirer. Ne pas poser inquisitorialement trop de questions, ne pas fouiller, ne pas vouloir tout savoir ; savoir réintroduire sans cesse du discontinu dans le lien. Et cela s’achève dans le grand miracle des plus hauts couples : quand on comprend enfin que l’autre est le plus grand et le meilleur protecteur de sa propre solitude.
C’est beau. En tout cas, si je me remets dans une relation un jour, j’espère que c’est parce que j’aurais trouvé quelqu’un avec qui tout ça est possible, plutôt que pour “rentrer dans le rang” ou d’autres mauvaises raisons.
Il y a quelques années, avec des copines, on est tombées sur cette super enquête sur les recettes de succès des couples longues durée. Une mine d’or ! Je suis souvent frustrée par les articles du genre “les clés du succès du couple”, qui tournent en rond sur les bienfaits du sexe et de la communication. Comme si on pouvait parler et explorer sa sexualité avec tout le monde, comme s’il n’était jamais question de “mauvais match” ! J’ai donc été ravie que des personnes séparées ou divorcées expliquent, dans l’enquête, pourquoi leurs couples précédents n’avaient pas marché :
By far, the most common answer was “being with the person for the wrong reasons.” Some of these included:
Pressure from friends and family
Feeling like a “loser” because they were single and settling for the first person that came along
Being together for image—because the relationship looked good on paper (or in photos), not because the two people actually admired each other
Being young and naive and hopelessly in love and thinking that love would solve everything
Being in a relationship to soothe your own emotional problems.
Beaucoup de dysfonctionnements semblent venir de cette tendance à utiliser les relations pour autre chose qu’elles-mêmes, comme Victoire Tuaillon l’évoque dans Le marché du coeur, un des géniaux épisodes du Coeur sur la table :
Beaucoup de relations affectives, amoureuses et sexuelles, ne sont jamais vécues pour elles-mêmes, mais instrumentalisées, utilisées pour mesurer sa propre valeur, pour provoquer la jalousie de quelqu’un d’autre. Ce qui en fait des non-relations, où l’autre n’existe pas vraiment. Où il existe comme objet, mais pas comme sujet.
Je retiens qu’il est risqué de se mettre en couple pour combler un manque d’estime de soi, pour cocher les cases des parents ou des copines, parce qu’on va avoir 30 ans, parce qu’on a besoin d’un égo boost ou parce que la personne est objectivement “quelqu’un de bien”. L’important serait simplement de se sentir heureux, spontané, libre et vivant avec la personne.
Plutôt que d’attendre que la personne présente un ensemble de qualités prédéfinies, peut-être vaut-il mieux chercher quelqu’un dont la compagnie nous “révèle à nous-même”. Ceci dit, j’ai quand même affiné le portrait du genre de personne que je cherche. Plus on se connaît, plus on sent les personnalités qui nous font du bien. Il y a même des filles qui “demandent un mec à l’univers”, avec des critères très précis. Je ne suis pas très sensible à ce vocabulaire ésotérique, mais je comprends l’intérêt d’apprendre à oser formuler ses désirs (c’est le principe du “visualizing” en développement personnel).
Moi, par exemple, je me suis formulée que ça ne marcherait jamais avec des artistes à fleur de peau ou des mecs un peu “grande gueule”. Je sais aussi que je ne pourrai pas changer sur certains points de ma personnalité, à moins de me lancer dans une lutte contre-nature et épuisante. Il est donc plus sage que la personne ne soit pas trop affectée par mes petits défauts ou qu’elle ne les stimule pas. Par exemple, je suis assez impatiente et irritable, il me faut donc quelqu’un qui ne m’énerve jamais ou très peu. Je suis très franche et ce serait compliqué avec quelqu’un de susceptible qu’il faudrait ménager. Je me pose beaucoup de questions, je dois donc trouver quelqu’un qui aime aussi s’en poser et discuter. Et au-delà de ça, il me faut quelqu’un avec qui je rigole beaucoup et avec qui il y ait “une bonne entente charnelle”.
Les compromis et les efforts, c’est peut-être une fausse piste. Dans cette interview dans Les mecs que je veux ken, la journaliste et autrice Maud Ventura raconte une discussion qu’elle a eu avec un monsieur de 57 ans rencontré par hasard à un dîner. A 1h24 de l’épisode, ce dernier lui raconte comment il a rencontré la femme de sa vie après un premier mariage.
Il me raconte qu’avec son ex-femme, il y avait tout le temps plein de petits ajustements : “Tout était un petit peu un problème. On ne se couchait pas à la même heure. Moi je suis un vrai couche-tard. Elle, il fallait qu’elle soit au lit à 22h”.
Et avec cette deuxième femme avec qui il est depuis 15 ans, il raconte que ça marche à tous les niveaux : “Tous les matins, je me dis : “Mais heureusement !” Et oui, la séparation était douloureuse, oui j’ai fait du mal, mais je n’ai aucun regret. Cette femme avec qui je suis, c’est la femme la plus belle qui existe, on parle pendant des heures, elle est comme moi, on va au théâtre, on rentre à la maison et on se dit “viens on cuisine des palourdes !!”, et on cuisine jusqu’à 2h du matin. On a le même rapport au temps, envie de faire les mêmes choses au même moment, on aime les mêmes endroits en vacances, rien n’est un problème.” Et puis, il a sous-entendu qu’il y avait aussi une vraie entente charnelle. Pour finir, il m’a dit : “Il faut juste que tu trouves ta personne !!”
Voilà, y’a plus qu’à trouver ma personne !
C’est la fin de cette newsletter. J’espère qu’elle vous a plu !! Comme d’habitude, n’hésitez pas à m’envoyer un message (par mail ou sur Instagram) ou à commenter ce post pour me partager votre ressenti. Après des longues semaines de travail solitaire, vos retours me font toujours très, très plaisir.
Petite nouveauté du jour : si vous aimez mon travail, vous pouvez me faire un petit don ici pour le soutenir. J’adorerais consacrer plus de temps à cette newsletter, et le seul moyen d’y parvenir est de gagner un peu d’argent avec. Alors n’hésitez pas : vous pouvez me laisser 1, 2, 3,…., 100 000 € sur cette cagnotte. Un immense merci à celles et ceux qui feront un petit geste et m’enverront, à cette occasion, un petit shot d’encouragement ! ❤️ Et si vous êtes une marque et que vous souhaitez sponsoriser la prochaine, n’hésitez pas à m’en parler.
Je vous laisse méditer sur ce passage très à propos d’Une Chambre à Soi :
La très grande activité intellectuelle que manifestèrent les femmes dans la dernière partie du XVIIIe siècle - causeries, réunions, essais sur Shakespeare, traductions des classiques - était justifiée par le fait indiscutable qu'elles pouvaient gagner de l'argent en écrivant.
Des nouvelles
Le mois dernier, j’ai eu le plaisir de raconter quelques histoires d’amour parisiennes pour My Little Paris. J’ai adoré me confronter à des sujets, à des contraintes de texte et au regard d’une rédaction. Reprendre le crayon, aussi. Alors si vous êtes un média à la recherche de nouvelles voix, faites-moi signe !!
Ma revue de presse
Faite avec le coeur.
Article · Scenes from an open marriage, un récit de la journaliste et éditrice Jean Garnett sur l’expérience du “mariage ouvert” qu’elle tente avec son mari. Un très beau texte, incarné, fin, honnête et très instructif.
Lecture · Connemara, le dernier roman de Nicolas Mathieu. J’ai adoré ses analyses sociologiques tellement bien vues, la profondeur des personnages, la justesse des dialogues et de ces scènes de sexe tellement réalistes. J’ai aimé cette immersion touchante dans l’équipe de hockey sur glace qui m’a fait retrouver l’excitation des matchs de quidditch, et puis cette immersion un peu plus froide et inquiétante dans un cabinet de conseil qui m’a, sans surprise, rappelé l’école de commerce. C’est un livre hyper juste et réaliste, plein de mélancolie, de sensualité, d’ironie et de tendresse. C’est cru et sublime, souvent noir mais parfois lumineux, avec des scènes comme au cinéma. Bref, j’ai adoré, comme le magnifique Leurs Enfants Après Eux - on y retrouve cette vitalité bouleversante. Et puis, j’ai lu Rose Royal, une nouvelle que l’écrivain a sortie il y a deux ans. Toujours un plaisir, mais elle m’a beaucoup moins marquée.
Podcast · J’ai aussi beaucoup aimé cette interview de Nicolas Mathieu par Charles Pépin, titrée Que peuvent vraiment les livres ?. Lui est toujours très fin, l’autre sait poser les vraies questions. Une conversation intelligente, spontanée et sans ronds de jambes. (Uniquement sur Spotify).
Lecture · Love Me Tender, le deuxième roman de Constance Debré. C’est la comédienne Camille Chamoux qui m’a donné envie de le lire, dans un épisode du podcast Le BookClub. C’est l’histoire d’une femme qui décide de se séparer de son mari et de remettre en question son mode de vie bourgeois pour écrire et vivre des histoires d’amour avec des femmes. Le retour de bâton est violent : son mari se débrouille pour lui faire retirer la garde de son fils et la priver de contact avec lui pendant des mois. Parce qu’on lui a renié ses droits, la narratrice décide alors d’embrasser pleinement cette nouvelle vie d’écrivain, lesbienne et sans enfant, et se défaire, petit à petit, de toutes les injonctions - de l’amour maternel au couple hétéro, monogamme et exclusif, en passant par le confort et la propriété.
Théâtre · Électre des Bas-Fonds, mis en scène par Simon Abkarian, au Théâtre du Soleil. Je me suis ennuyée 10 minutes mais à part ça, c’était super : un très beau texte, une mise en scène incroyable, des costumes magnifiques, un twist un peu rock. Comme souvent à la Cartoucherie, c’était un spectacle très complet avec musique, chant, danse, mimes, travail de coeur. Le petit dîner servi par les comédiens et dégusté après le spectacle entre les roulottes et le théâtre illuminé ajoute indéniablement au charme de la soirée.
Lecture · Je vous ai cité Petit Eloge du désir plus haut. En 250 pensées plus ou moins brèves, l’essayiste et romancière Belinda Cannone y fait un éloge du désir émouvant, très juste, personnel, profond, et parfois assez érotique. C’est riche, précis, condensé, et ça se lit très vite. J’ai adoré ce petit essai.
Cinéma · Julie en 12 chapitres, un joli film norvégien qui m’a pas mal fait cogiter sur le doute, le choix et l’engagement. Dans un Oslo solaire, on suit Julie, une jeune femme d'une trentaine d’années qui se pose beaucoup de questions et dont j’ai eu du mal à savoir si elle refusait ou fuyait l’engagement- amoureux, familial, professionnel. Au-delà de ça, je me suis beaucoup reconnue dans le personnage, superbement incarné par la magnétique Renate Reinsve. Son besoin de liberté, ses doutes, ses joies et ses angoisses, je les ai ressentis dans mes tripes.
Podcast · Je réécoute avec plaisir Bouffons, podcast qui décrypte ce que la cuisine dit de nous, de notre époque et de notre société, animé avec talent et délicatesse par Emilie Laystary. J’ai écouté les épisodes Manger seul·e : la solitudîner et La revanche de la chicorée, supers tous les deux.
Cinéma · J’avais adoré l’interview d’Audrey Diwan dans La Poudre. Depuis, j’avais envie voir L’Évènement, son film adapté du récit autobiographique d’Annie Ernaux, et j’ai été un peu pressée par l’actualité aux Etats-Unis. Je ne savais pas très bien à quoi ça ressemblait, concrètement, un avortement clandestin. Je pensais le découvrir froidement, et je me suis retrouvée en larmes, à me mordre le poignet devant une scène très crue, réaliste, très forte. Ce film m’a vraiment fait prendre conscience de la solitude, de la douleur et du danger que créait la pénalisation de l’avortement, sans compter cette injustice insupportable entre les filles et les garçons qui les ont mises enceintes. Depuis, je dis à tout le monde de voir ce film, qui par ailleurs est très réussi et révèle la lumineuse Anamaria Vartolomei.
Podcast · J’ai découvert Vivons heureux avant la fin du monde, un podcast indépendant où l’autrice et réalisatrice Delphine Saltel se livre sur ses crises et dilemmes existentiels et tente d’y trouver des réponses à travers les témoignages de chercheurs et d’activistes. Ça tourne pas mal autour de l’amour, du couple, de l’écologie et de la parentalité. Il n’y a pas beaucoup d’épisodes, mais ils sont tous tops - j’adore les interventions de Delphine Saltel, toujours très fines, franches et marrantes.
Cinéma · J’ai vu Clèves, un film cru et dérangeant, signé Rodolphe Tissot, sur le désir montant d’une adolescente dans un village de Haute Savoie. Les discussions entre copines, les mimiques de femmes fatales, les montagnes russes émotionnelles, l’attente des coups de fil, cet étrange mélange de femme et de petite fille, les premières fois, l’ascendance des désirs des garçons… Un beau film, troublant de justesse et de réalisme. A voir sur Arte !
Lecture · Dans Champion, le premier roman de Maria Pourchet, on suit Fabien, un élève de 5ème railleur, sensible, à la fois lucide et plein d’imagination. J’ai beaucoup aimé ce roman pour la plongée dans l’ambiance du collège, le style, l’humour, l’intelligence, la sensibilité qu’on y sent. C’est très drôle, incisif, rythmé, écrit avec une espèce de nonchalance très classe. Mais j’ai préféré Feu et Toutes les femmes sauf une. Les envolées fantastiques m’ont fait un peu décrocher et j’ai trouvé que c’était un peu longuet.
Podcast · La très belle, très émouvante dernière émission d’Augustin Trapenard sur Boomerang, ode à la création et à la culture. La passion et l’émotion du chroniqueur sont contagieuses, et j’ai été vraiment émue par certaines interventions, notamment la lecture d’un texte d’Alain Damasio sur le vivant. D’ailleurs, en passant : j’avais adoré l’interview d’Augustin dans le podcast de Pauline Laigneau. Son érudition, sa passion et sa sensibilité me séduisent et m’émeuvent à chaque fois.
Expo · Je suis passée à l’expo Love songs à la Maison Européenne de la photographie. J’ai aimé m’y balader toute seule, à l’abri de la fournaise parisienne, pour découvrir toutes ces photos d’amoureux - et notamment la série du japonais Nobuyoshi Araki et les élégants portraits de René Groebli. Je dois dire que ça m’a rendue un peu mélancolique, ces photos de couples vieillissants, ces vies condensées en quelques clichés. Plus tard, un ami m’a dit que l’expo l’avait déçu et je comprends pourquoi : je l’ai trouvée inégale.
Insta · Le compte Anatomie d’une dépression. J’ai découvert les textes d’Agathe Hocquet il y a deux ans dans la newsletter de Louie Media. Pendant des mois, j’ai lu ses newsletters toutes les semaines et toujours avec plaisir. Depuis un an, Agathe traverse une dépression et n’a pas écrit, jusqu’à ce qu’elle se lance un défi pour “épuiser sa dépression par les mots”. Sur son compte, à coup d’un post par jour, elle raconte tout : les déclencheurs, les symptômes, les psys, ls traitements. Si jamais le sujet vous intéresse, je vous en recommande la lecture : ses posts sont toujours super intéressants, personnels, jamais dans le pathos, très bien écrits et joliment illustrés.
Lecture · J’ai trouvé Fragments d’un discours amoureux, de Roland Barthes, dans la bibliothèque de mes parents. Sans surprise, parce que j’en avais beaucoup entendu parler, c’est génial.
Article · Un super article sur l’envers du décor de la multiplication des tiers-lieux, entre gentrification, installation de tiers-lieux exprès pour faire grimper la valorisation immobilière de certains quartiers, et uniformisation de ces espaces culturels, dont certains sont déjà creux et lisses. Et derrière ces centaines de nouveaux tiers-lieux, une poignée d’entrepreneurs qui n’ont souvent d’engagé que le discours. Encore merci pour le partage Amaury !!
Insta · Le compte Insta The Social food, qui m’a émerveillée ces dernières semaines. Pendant plusieurs mois, le couple qui tient le compte a documenté son voyage au Japon et ses expériences gastronomiques avec des photos magnifiques, souvent accompagnées de petits textes explicatifs. A découvrir dans leurs posts et leurs stories “à la une”, pour le plaisir des yeux !
Je vous aurais bien parlé de la super expo Boldini au Petit Palais, du magnifique Cendrillon moderne mis en scène par Joël Pommerat, et de Je m’en vais mais l’état demeure, une pièce style documentaire politique écrite et mise en scène avec talent par Hugues Duchêne… Mais tout ça, c’est fini. N’hésitez pas à suivre les projets de ces talentueux metteurs en scène, et si vous voulez être sûr·e de profiter à temps de mes recommendations expos / théâtre, vous pouvez à me suivre sur sur Instagram !
Voilà, c’est fini pour aujourd’hui !!
Merci encore à Pierre pour son accord pour parler de tout ça, et à lui, à ma soeur Garance et mon ami Louis pour leur relecture attentive et leurs supers retours ! 🥰
J’espère que vous apprécié la lecture de cette newsletter. Si c’est le cas, n’hésitez pas à l’envoyer à un·e ami·e et à vous abonner, si ce n’est pas déjà fait.
A bientôt !
Louise
J'arrive au bout de cet article, il est très sympa, mais vraiment trop d'anglais non traduit..
Grief was the celebration of love, those who could feel real grief were lucky to have loved.
Ça veut dire quoi ?