Coucou tout le monde !!
J’espère que vous allez bien ! ☺️
Il y a quelques mois, une personne a demandé sur mon groupe WhatsApp s’il y avait des sujets que je ne m’autorisais pas dans cette newsletter. Sans hésiter, j’ai répondu : “tout ce qui tourne autour de la sexualité”.
Plus précisément, parler de ma sexualité me gêne. Déjà, imaginer mes parents, mes soeurs, mes oncles et tantes se plonger dans les méandres de mes souvenirs érotiques et premiers émois sexuels me met hyper mal à l’aise. “Ouais l’enfer !” a commenté ma soeur en relisant ce paragraphe. Alors je vais désabonner ma famille, mais retirer chacune de mes connaissances de ma liste d’envoi s’avère mission impossible. Il va falloir que j’accepte que mes amis, ex et petits crushs lisent tout ça.
Et puis, suis-je devenue une créature exhibo et arriviste au point de troquer mes souvenirs les plus personnels contre des likes et de la visibilité ? Je crois aux bienfaits du partage de l’intime et c’est la posture la plus naturelle pour moi, mais j’ai toujours un peu peur de tomber dans un “moi, moi, moi” creux, narcissique ou opportuniste.
Et surtout, à quoi bon parler de sexe ?
D’un côté, j’ai l’impression de faire partie d’une génération où la liberté sexuelle est acquise. D’ailleurs, vous vous dites peut-être : “ça vaaa c’est plus un sujet tabou…” Et en effet, quoi de plus banal que le sexe aujourd’hui, alors que l’âge moyen de la première exposition à la pornographie a chuté à 10 ans et que les applis de rencontre ont instauré un rapport de consommation dans les relations sexuelles de leurs utilisateur·ice·s ?
Cette libération des moeurs ne date pas d‘hier. On l’a appris en étudiant Mai 68 en cours d’histoire : cela fait bien 50 ans que les tabous sur le corps et la sexualité ont volé en éclat dans notre pays. À des années-lumière d’une vieille perception du sexe comme “péché de la chair”, le 20ème siècle a même vu l’amour et le désir devenir les fondements légitimes du couple. Ainsi, avoir une sexualité épanouie est très valorisé dans la culture occidentale, un couple en bonne santé est censé faire l’amour régulièrement, et chaque année les magazines féminins ne manquent pas de partager leurs “conseils sexo”. Ces discours normatifs créent d’ailleurs une pression telle que certain·es, comme Aline Laurent-Mayard dans son podcast Free from Desire ou Tal Madesta dans son essai Désirer à tout prix, dénoncent ce qu’ils perçoivent comme une injonction à être actif sexuellement, nous invitant à nous en libérer.
Et si la libération de la parole sur la sexualité n’a été que partielle dans les années 60, comme on l’a compris plus tard avec #MeToo, ce que Camille Froidevaux-Metterie appelle le “tournant génital du féminisme” se fonde bien sur la bataille de l’intime, avec le corps de femmes pour champ. Dans un épisode passionnant et limpide de La Poudre, la philosophe décrivait la joie d’une avancée vers une sexualité épanouissante pour les femmes, réclamée suite à la dénonciation des violences sexuelles.
En effet, en parallèle des vagues #Metoo, ont bien fleuri les discours mettant en avant la possibilité d’une sexualité joyeuse, consentie et libérée des injonctions. Ainsi, dans les 5-6 dernières années, de nombreux médias, podcasts (Entre nos lèvres, Sexplorer, Le Coeur sur la table…) ou comptes Instagram (Orgasme et moi, Je m’en bats le clito, Clit Révolution, Gang du clito…) ont ouvert la voie de discussions authentiques autour de la sexualité. Les sources d’informations abondent désormais en matière de pratiques et de plaisir, notamment féminin. Je pense notamment au compte Insta Jouissance Club, que son autrice et illustratrice Jüne Plã a ensuite traduit en un manuel d’éducation sexuelle élégant, rafraîchissant et décomplexant, proposant plein de façons de se faire plaisir autrement que par la pénétration.
Et pourtant…
“Le sexe, nous sommes nombreux·ses à y penser, mais trop peu à en parler - pour de vrai”, lit-on sur le site du formidable podcast Entre Nos Lèvres. Et je trouve ça (toujours) très vrai.
Même entre filles, la contraception et le cycle menstruel canalisent la plupart des conversations sur le sujet. On parle pilule, stérilet, règles, épilation du “maillot”, on s’échange des recos de gynéco, tout en contournant soigneusement la question de la sexualité - qu’il s’agisse de masturbation ou de rapports sexuels.
Bien sûr, parfois, quelqu’un d’un peu décomplexé débarque et met les pieds dans le plat. Parfois, après une soirée bien arrosée, on s’avoue à tour de rôle avec combien de personnes on a couché. Parfois, un petit clown livre ses anecdotes les plus désastreuses pour amuser la galerie (🙋🏻♀️). Parfois, comme ça m’est arrivé récemment, on se retrouve à former une contre-soirée avec des inconnues dans une minuscule cuisine d’appartement… Et là, on déballe tout : pratiques, positions, préférences de taille de pénis, sujets de stress, anecdotes, fantasmes, pires fiascos ! Dans la joie, la bonne humeur et le soulagement de parler enfin de sexe sans retenue, avec sincérité, humour et simplicité.
Mais en général, le discours reste édulcoré ou censuré, et nos vies sexuelles auréolées de mystère. Interroger les autres de but en blanc serait jugé intrusif et un petit peu louche. D’ailleurs, au-delà d’un certain niveau de détail et selon la relation que j’ai avec la personne qui se livre, je peux me sentir un peu gênée aussi.
Quelque-part, je comprends que l’excitation, le plaisir et l’émotion que l’on peut éprouver dans la sexualité soient en partie liés à ce grand secret qui l’entoure. Dans son très bel essai Petit Éloge du désir, l’écrivaine Belinda Cannone avance que pudeur, mystère et exclusivité font partie de la recette qui la rend si fascinante :
Si tu écrivais un éloge de l'intimité, tu y vanterais la pudeur, qui permet d'être nu, tu y louerais le secret, quand il isole et unit deux amants, tu évoquerais la plainte de sa jouissance sonnant pour tes seules oreilles et le gémissement qui accompagne la joie d'étreindre, tu décrirais les yeux de qui est éperdu, le sourire de pénombre flottant sur ses lèvres à toi seule destiné...
Et bon, je ne vais pas faire comme si je ne comprenais pas les raisons de cette pudeur. Un acte sexuel implique souvent de se retrouver nu·e comme un vers, de révéler et manipuler des parties génitales communément perçues comme sales et honteuses, de ressentir un plaisir qui peut déformer les traits du visage, déclencher des spasmes, faire gémir et déverser des fluides, nous privant du contrôle qu’on a l’habitude d’exercer sur notre corps.
Comme la sexualité est perçue comme la sphère la plus intime et vulnérable qui soit, qu’il semble inconvenant, transgressif ou risqué d’en parler tout haut, on évoque le sujet du bout des lèvres, de façon vague, brève et impersonnelle, ou à grands renforts de figures de style et d’émojis 🍑💦. Plus ou moins consciemment, on évite de prononcer les mots crus du sexe, qu’ils concernent les parties génitales ou ce qu’il advient pendant un acte sexuel. Je ne me considère pas comme une personne asphyxiée par les tabous et pourtant : je ne prononce les mots “vagin”, “clitoris”, “doigter”, “testicule”, “pénis”, “sucer”, “anus” ou “pénétrer” qu’en baissant la voix, avec une once de gêne ou un petit rictus de gamine de 8 ans.
Le sexe féminin reste particulièrement tabou. Les livres de SVT ne font mention du clitoris que depuis 2017, et j’avoue ne pas connaître son anatomie depuis beaucoup plus longtemps. Dans l’introduction de sa pièce de théâtre Les Monologues du vagin, sortie en 1998 et interprétée depuis dans plus de cent trente pays, la dramaturge féministe américaine Eve Ensler écrit :
« Vagin. » Voilà, ça y est, je l’ai dit. « Vagin » - je le redis. (…) Je le dis parce que c’est un mot indicible — un mot qui provoque l’angoisse, la gêne, le mépris et le dégoût. (...) Ce qu’on ne dit pas devient un secret et les secrets engendrent souvent la honte, la peur et les mythes. Je le dis parce que je veux pouvoir un jour le dire naturellement, sans éprouver de honte ou de culpabilité.
À l’époque, le choix du titre dérange, au vu de la censure que connaît le mot vagin dans la communication autour de la pièce, dont c’est pourtant le thème principal.
Ils ont tout fait pour censurer le mot dans la communication : dans la pub des grands quotidiens, sur les affiches, sur les billets, sur les enseignes des théâtres, sur les répondeurs où une voix disait “Les Monologues” ou “Les Monologues de V”.
Moi aussi, ce mot continue à me gêner, malgré l’air faussement détendu que j’emprunte quand il faut le prononcer. Heureusement, des meufs beaucoup plus décomplexées ont fait de la sexualité leur terrain de jeu et leur expertise, offrant aux adultes l’éducation sexuelle qu’ils n’ont parfois jamais reçue. Je pense à la géniale Charline Vermont, à l’espiègle Maïa Mazaurette ou encore à l’inspirante Camille Aumont Carnel… Cette dernière, créatrice du compte Insta @jemenbatsleclito, a écrit le livre Les Mots du Q, où elle interroge frontalement le vocabulaire qu’on utilise pour parler de sexe.
Envers et contre tout, des instit’ se saisissent à bras le corps des enjeux d’éducation sexuelle pour les enfants, sujet encore hautement inflammable en France. “Est-ce que vous connaissez le nom des parties génitales de votre corps ?” demande Lolita Rivé à ses petits élèves de CE1, pendant ses séances d’éducation à la vie affective et sexuelle. “La vuuuulve”, répondent les petites filles en choeur. “Est-ce que vous êtes trop jeunes pour connaître leur nom ?” "Naaannnn”. Dans un épisode du passionnant podcast C’est quoi l’amour, maîtresse ?, elle interroge Élise Devieilhe, sociologue et spécialiste de l’éducation sexuelle en France et en Suède (pays où les chiffres sur les grossesses adolescentes, les taux de MST ou les violences sexuelles figurent parmi les plus bas d’Europe).
En Suède, on est plus pragmatiques, on entoure pas les relations sexuelles ni de galanterie, ni de mystère. On préfère appeler une chatte “une chatte”. Le corps, c’est le corps. (…) En Suède, cette éducation à la vie sexuelle et affective est banalisée et fait vraiment partie du quotidien des profs : leur formation est centralisée, le programme instauré par l’État. Et dans les familles, la conversation sur le corps, la sexualité ou le consentement est un peu plus détendue que ce qu’on peut voir en France.
Moi, jusqu’à mon adolescence, mon éducation sexuelle s’est résumée aux affiches du guide du Zizi sexuel dans le métro, aux conseils rétrogrades du Dico des filles et au mythique déroulé de préservatif sur banane en cours de SVT. Enfin, j’oublie un épisode : la prof de SVT en question, un peu libérée, avait passé en classe une vidéo divulguant des gros plans de vagins sanguinolents, pendant les règles. On avait 13 ans, ça avait été un petit trauma collectif.
À 27 ans, je ne suis même pas si sûre de comment nommer l’acte sexuel. “Faire l’amour” m’évoque un romantisme fleur bleue, une sacralisation des choses du corps dans laquelle je ne me retrouve pas. Je n’assume pas le mot “baiser”, que je trouve un peu vulgaire et qui me donne l’impression de vouloir me donner un air de thug 🤟. Même chose pour “niquer”, avec une connotation années 70. “S’accoupler” m’évoque plus un coït de gnous qu’autre chose. “Faire du sexe”, expression que j’entends en ce moment, semble suggérer “une activité fun et sympa, quelle que soit la pratique et la relation dans laquelle elle s’inscrit”. Mais je n’accroche pas trop - peut-être trop ambiance Sex Education pour moi ? Au final, j’alterne entre “coucher ensemble”, qui contourne un peu la chose sans faire trop nunuche. Et “ken”, pour rigoler.
À ces motivations s’ajoute un sentiment d’injustice. Malgré les pas de géants réalisés ces dernières années, la sexualité féminine reste l’objet de jugements, d’injonctions et de pressions bien spécifiques.
Le plaisir, qui détourne la sexualité de sa fonction de reproduction, a été condamné moralement par pas mal de sociétés et de religions, et les femmes en ont particulièrement pâti. “Dès qu’on veut justifier le fait de vous dominer, on vous assène cette phrase « C’est le Coran qui le dit »”, écrit Leïla Slimani dans Sexe et mensonges, son enquête sur la vie sexuelle des femmes au Maroc.
Aujourd’hui encore, on estime à plus de 200 millions le nombre de filles et de femmes victimes d’excision, mutilation génitale notamment pratiquée pour s’assurer qu’elles ne puissent éprouver aucun plaisir et ainsi “garantir leur chasteté”. Évidemment, ces pratiques cruelles et arriérées nous semblent loin de nous et il serait complètement indécent de comparer ma situation à celle de femmes qui subissent un système patriarcal autrement plus violent et rétrograde. Mais les mutilations exercées sur ces femmes ont peut-être un lien infime avec le malaise autour de la sexualité, du plaisir et de la sensualité des femmes qui persiste dans notre société occidentale plus libérée.
Ce que Constance Lasserre rappelait avec justesse dans son super essai Plaidoyer pour la gourmandise, en comparant les plaisirs gustatif et sexuel, tous les deux des plaisirs sensuels proches car “susceptibles d’intempérance : un excès allant au-delà du besoin, une incapacité à maîtriser ses pulsions et ses instincts, la recherche du plaisir pour lui-même.” Croquer dans la pomme ou commettre le péché de chair reviendrait au même, ajoute-t-elle.
L’autrice, gastronome suivie près de 180 000 personnes sur les réseaux sociaux, décrit ensuite avec justesse la méfiance, le jugement et le mépris qu’attise la sensualité des femmes, qu’elle se manifeste par la nourriture ou la sexualité :
La gourmandise de la femme est d’autant plus considéré comme “coupable” que le plaisir sexuel de la femme est tabou. L’invisibilisation du clitoris, le tabou autour de la masturbation ou de l’orgasme féminin, la diabolisation et l’humiliation des femmes montrant une appétence pour le sexe... (…) Tout indique que, depuis des siècles, la jouissance féminine est, sinon proscrite, non convenable. (…)
Comme une femme qui manifeste un appétit sexuel devient monstrueuse (…), voir une femme qui mange en quantité et aime manger est transgressif, je l’observe quotidiennement à travers les commentaires que je reçois sur les vidéos où je me montre en train de déguster et prendre du plaisir, du “Gourmande !” suggestif à “Imagine qu’elle parle de ta lourde paire de nouilles” (véridique), en passant par “Vous n’en avez pas marre de vous goinfrer ?”(…).
Ces commentaires sont en immense majorité laissés par des hommes et montrent à quel point ils sont dérangés par ces images : le fait de voir une femme se régaler leur fait penser que l’appétit de son ventre doit être à la hauteur de celui de son bas-ventre, ce qui leur permet de rabaisser la femme à un objet sexuel.
Ce malaise, il se manifeste par d’autres innombrables commentaires, des insultes profondément dégradantes que d’horribles types te crient dans la rue, presque toujours en lien avec le sexe que tu as entre les jambes, à la remarque sournoise d’un camarade de promo qui a eu vent de que t’as fait avec Bidule samedi soir… En passant par les conseils des mamans qui croient bien faire.
Sans sa nouvelle Souvenirs d’une jeune fille avortée, qui m’a beaucoup touchée, Axelle Lhermitte commence par raconter la découverte de la sexualité, du désir et du plaisir d’une jeune fille, dans un milieu qui assigne encore les filles à la préservation de leur virginité. La nouvelle s’ouvre sur une conversation entre l’adolescente et sa mère, sur le chemin de l’école. Cette dernière lui a déjà dit “tu sais, Alma, un homme préfère les femmes vierges”.
Tu pensais qu’il fallait se préserver pour « l’homme de sa vie ». De peur d’être rejetée ? De passer à côté de l’homme ? (…) Comme si l’unique but de l’existence féminine était de devenir fleur pour être un jour cueillie. Tu croyais me transmettre l’un de ces grands principes fondateurs que l’on dit de mère à fille, comme un bijou que l’on offre pour les grandes occasions dans un écrin de velours. (…) Intérieurement, je bouillonnais, écoeurée par l’injustice genrée de tes propos. D’autant que je l’avais déjà perdue, cette virginité sacrée. Mais tu parlais avec la sagesse de l’âge et de l’expérience, contre laquelle on ne peut rien, à 15 ans. J’exprimais mon désaccord en trébuchant et la conversation s’arrêta bien vite. Comment aurait-elle pu continuer ? « Alors Maman, plutôt pilule ou capote ? ».
Parmi mes amies, je pense compter parmi celles qui ont eu le plus de partenaires différents. Je suis à l’aise avec ça mais je reste prudente, marquée par les remarques teintées de mépris (et de fantasmes ?) que lâchaient parfois des mecs de ma promo d’école au sujet des jeunes femmes plus libérées que la moyenne. La plupart d’entre eux sont heureusement revenus de leur comportement mysogyne, stupide et immature (et toc ! 😈), mais je crois que le risque de slut shaming et de sexualisation nous est toutes resté en tête.
Et malheureusement, cette menace dépasse le cadre du lycée et des études supérieures. L’apparition d’Internet n’ayant rien arrangé, les relations sexuelles pourront toujours constituer un moyen de pression et des hommes malveillants font encore usage de “revenge porn” pour détruire la réputation d’une (ex) partenaire.
Il y a quelques mois, la journaliste Salomé Saqué a été victime d’un deepfake porno assez choquant (dont elle a eu le courage de parler), phénomène de plus en plus courant qui n’est qu’une variante particulièrement dégradante du cyber-harcèlement quotidien qui agresse et sexualise les figures publiques féminines, dans l’objectif de les humilier et les faire taire. Je vous renvoie au documentaire Sale Pute, qui rappelait qu’une femme est 27 fois plus susceptible d’être harcelée en ligne qu’un homme. Les inspirations principales des vagues de harcèlement qu’elles subissent ? La culture du viol et le champ lexical du mot “pute”.
Alors, par crainte du qu’en dira-t-on - qui peut bien sûr atteindre différents niveaux d’intensité, je crois que les filles font encore très attention à ce qu’elles racontent de leur vie sexuelle, et se font parfois plus sainte-nitouches que ce qu’elles sont vraiment - moi la première ! 👼🏻 “Pour se faire bien voir, il est donc commun pour une femme de ne jamais montrer d’appétit”, écrit Constance Lasserre. Bien sûr, en France, on fait partie des chanceuses. Mais cette auto-censure explique peut-être que les récits authentiques de sexualité féminine restent aussi rares. Profil bas, il ne faudrait surtout pas qu’ils croient qu’on aime ça !
En septembre dernier, ma grande cousine avait été un peu gênée par ma newsletter sur les applis de rencontre, où je confiais 2-3 anecdotes un peu olé olé à son goût. Au final, son conseil, c’était : “en soi, tu fais ce que tu veux, mais ne le crie pas sur les toits”. Je crois qu’elle s’inquiétait que je fasse un peu peur à un éventuel futur mari. Un conseil pragmatique et bien intentionné, qui témoignait précisément de l’hypocrisie du discours sur la sexualité.
Toujours dans son enquête, Leïla Slimani écrit :
On peut considérer que c’est par le biais de la sexualité que la domination masculine s’est établie dans de multiples civilisations. Défendre les droits sexuels, c’est défendre directement les droits des femmes. À travers le droit de disposer de son corps, de s’affranchir de son cercle familial pour vivre une sexualité épanouissante, ce sont des droits politiques qui se jouent.
Plus loin, elle commente le propos d’une sociologue :
Pour la sociologue marocaine, si Shérérazade est un personnage si extraordinaire, ça n'est pas parce qu'elle incarnerait la femme orientale séductrice et lascive mais, bien au contraire, parce qu'elle reprend ses droits sur le récit, qu'elle n'est plus seulement objet mais sujet de l'histoire.
Les femmes doivent retrouver le moyen de peser sur une culture qui l'otage des religieux et du patriarcat. En prenant la parole, en se racontant, elles usent d'une des armes les plus puissantes contre la haine et l'hypocrisie généralisée. Les mots.
En vrai, le déclic, ça a surtout été une jolie rencontre du mois de Janvier. Un peu par hasard, j’ai passé une après-midi avec Clémence Rérolle, une jeune femme que j’ai tout de suite trouvée hyper sympa, intelligente, à l’écoute, naturelle, enthousiaste, ouverte d’esprit… Bref, un vrai coup de coeur ! Elle m’a raconté qu’après une école de commerce et quelques années en startup, elle était devenue sexothérapeuthe. Quelques semaines plus tard, on s’est retrouvées dans un café hyper stylé de la rue Oberkampf pour que je l’interviewe. C’était passionnant et j’ai hâte que vous découvriez son témoignage, mais il était important pour moi de vous écrire avant.
Imaginez un monde où le sujet de la cuisine est complètement tabou, où les livres de recette n’existent pas et où pèserait malgré tout sur nos épaules la pression d’être des petits cordons-bleus autodidactes. Sur Internet, on trouverait peut-être des sites interdits aux moins de 18 ans où des milliers de vidéos exposeraient des acteurs en train de préparer et manger des pâtes, variant inlassablement entre pesto et sauce tomate, poussant des “mmmmh” exagérés et usant de plus en plus de piment pour attirer notre attention. Et dans la vraie vie, on se lasserait de nos plats de pâtes, nos dîners du soir deviendraient des tabous pesants et parfois, on s’affamerait jusqu’à craquer et se faire des orgies dans des restaus clandestins.
Bien sûr, tout le monde n’est pas (toujours) gourmand et il n’est pas question de nous forcer à l’être. Mais pour d’autres, la cuisine pourrait sans doute être joyeuse et décomplexée, la diversité des recettes infinie et enrichie par les échanges. Dans le manifeste de son livre, Camille Aumont Carnel file cette petite métaphore de la cuisine :
Il y a les plats que je ne cuisine que pour moi. Ceux dont j’aime suivre la recette. Ceux que j’apprécie uniquement quand ils sont faits par les gens que j’aime. Ceux que j’ai appris à apprécier en goûtant d’autres recettes alors que je jurais : “Mais je déteste les huîtres, je te dis, j’ai l’impression d’avoir une limace dans la bouche, c’est l’angoisse” - et puis la recette de Bastien m’a fait changer d’avis. Ceux qui me font pleurer, jouir, orgasmer. Ceux qui me font du bien. Ceux qui me détendent.
Je me dis qu’il y a peut-être des conversations à entamer. Avec les autres, mais aussi avec soi. Je crois que j’ai longtemps vécu ma vie sexuelle en mode “pilote automatique”, sans prendre le temps de ressentir et de verbaliser mes ressentis. C’est loin d’être évident, de se retourner sur ce parcours : beaucoup de mes souvenirs me semblent fuyants et insaisissables, comme recouverts d’un voile opaque et flou. Beaucoup me gênent !! Mais je crois que cette introspection peut aider à se (ré)approprier sa sexualité, en prenant conscience d’à quel point nos goûts sont singuliers et irréductibles à des normes.
Ce sera (sans doute) le sujet d’une prochaine newsletter. À bientôt !! 😘
PS : N’hésitez pas à me partager vos réactions. Qu’en pensez-vous ? Croyez-vous que l’on gagnerait à parler davantage de sexualité, ou pas spécialement ? En parlez-vous déjà de façon décomplexée avec vos proches ? Vous avez bien sûr le droit de n’être pas d’accord avec moi. Dans tous les cas, je serais ravie de vous lire !! ☺️
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En France, près de 60% des femmes utilisent un moyen de contraception. Les hommes ? Ils se cachent un peu derrière la capote, efficace mais chère. Et puis, certains ont trop souvent la flemme de la dégainer au bon moment.
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Merci Louise pour cette Newsletter ! J'adore la métaphore avec la nourriture, elle évoque tellement de chose ! C'est libérateur de te voir parler de l'intime et d'entamer cette conversation, tes phrases me font du bien et me donnent envie de faire ma propre petite introspection.
Puis je rajoute une petite question ciné (ma petite signature haha) : comment les scènes de sexe au cinéma sont-elles aussi responsables de certaines de nos représentations ? C'est tellement présent et pourtant, très peu sont utiles, ou réalistes, voire respectueuse des acteurices... Je trouve que cela dit beaucoup de notre société également !
Merci encore, j'ai adoré te lire <3
Je te lis encore avec retard mais qu'importe c'est toujours intéressant et c'est rigolo, (ou pas hein) mais je ne pensais pas que parler de sexe soit encore si "chuchoté" comme tu sembles le vivre toi (je ne sais pas si c'est le bon terme mais bref).
Mais ce n'est peut-être que mon expérience à moi qui joue - je ne sais si c'est la sagesse de l'âge ou juste un féminisme exacerbé depuis quelques années, mais de la même façon que je trouve important de banaliser le sujet des règles (un truc que ma mère, soit dit en passant, trouve trop impudique à évoquer en public 🤭 autant te dire que je pars de loin avec mon éducation !) le sujet du sexe me semble important à ne pas garder trop tabou, même si bien sûr : ça dépend des interlocuteurs qu'on a + je ne suis pas en train de nier tout ce que tu as bien expliqué à propos de la sexualité féminine plus tabou et encline à nourrir du slut shaming (hélas).
Bref, perso j'ai toujours assez librement parlé de mes expériences, avec mes amies proches le plus évidemment, mais je tâche d'être la plus naturelle possible tout le temps en en parlant et d'appeler un chat un chat ! 😅
J'espère que je n'ai pas été maladroite ou peu claire, d'autant que j'ai rédigé ce message entre des correspondances dans les transports, de manière un peu hachée, à en perdre le fil de ma pensée, mais c'était my two cents ! Bisou !