Je m’appelle Louise, j’ai 26 ans et je vis à Paris. Dans ces newsletters à la fois intimes et documentées, j’essaye de comprendre des choses sur moi et le monde qui nous entoure. Un grand merci à la billetterie BAM pour son soutien - rendez-vous à la fin de la news pour tenter de remporter deux places d’un spectacle magnifique ! 💕
Coucou tout le monde,
J’espère que vous allez bien et que vous avez passé un bel été !!
Le mien a été rythmé par les allers-retours en TGV, les randos dans nos jolies régions de France et les rencontres de jeunes hommes âgés de 25 à 31 ans. Petit préambule pour vous introduire le sujet du jour : les applis de rencontre.
Bien sûr, ce témoignage est indissociable de mon point de vue de jeune femme blanche, hétéro, qui se situe dans les normes physiques et maîtrise des codes comme l’orthographe ou la présentation de soi, véritables marqueurs sociaux dans les rencontres en ligne. L’expérience des applis de rencontre semble tellement relative à ces caractéristiques qu’il ne me semblerait pas correct d’en vanter les mérites sans me situer.
En Février 2022, je me suis séparée de mon dernier copain après deux ans de relation. Assez vite, j’ai à la fois ressenti l’envie de retomber amoureuse et la frustration de rencontrer peu de monde dans mon quotidien de freelance encore moins fêtarde que d’habitude en cette période post-covid.
Lorsque j’ai évoqué cette frustration à mes copines, l’option des applis de rencontre est venue sur la table. Mais trop romantique pour me faire à l’idée de trouver mon prochain amoureux en swipant des profils sur un écran, trop fière pour reconnaître ma contrariété et mon inquiétude que ça n’arrive pas, je repoussais cette piste de façon catégorique. Le concept du date, que je voyais comme une bizarrerie importée des US, ne me parlait pas non plus : j’appréhendais des questions-réponses désincarnés, lisses et ennuyeux. J’ai d’ailleurs énuméré ces blocages il y a un an, dans une newsletter sur ma rupture :
Je n’ai aucune envie de m’inscrire sur une appli, où le rituel de rencontre me semble dénué de mystère, d’animalité et de spontanéité. Et j’ai accepté que pour ressentir du désir pour quelqu’un, j’ai besoin de temps, de liberté, de confiance et de cette délicieuse ambiguïté qui monte tout doucement. Que l’horizon d’un ou deux verres m’oppresse. Que je me sens incapable de projeter une potentielle attraction sur une photo et une description. Que j’appréhende les face-à-face décevants et sans sortie de secours. Bref, que j’ai pas envie !
Aujourd’hui, il me semble évident qu’une forme de honte me freinait autant que ces quelques réserves. J’avais beau savoir à quel point l’utilisation des applis était normalisée, m’y inscrire me faisait l’effet d’un échec, d’un choix par dépit, d’une solution de dernier recours pour les célib’ en détresse affective. Pour moi qui suis enchantée par les rencontres improbables et les coups de coeur inattendus, la rencontre sur appli me semblait d’une banalité sans nom. L’analyse de la sociologue Marie Bergström, autrice de l’enquête Les nouvelles lois de l'amour, m’a d’ailleurs permis de comprendre les ressorts de mon rejet :
Les sites et applis de rencontre mettent au défi les imaginaires amoureux, marqués par les codes de l’amour romantique qui émergent au 19ème siècle. C’est par exemple l’idée que l’amour est aveugle et désintéressé, que la rencontre est fortuite et que l’amour devrait nous tomber dessus - la recherche active de partenaire est considérée elle-même comme suspecte.
Parce qu’elles allaient à l’encontre de ces imaginaires, les petites annonces et les agences matrimoniales n’ont jamais vraiment marché. Les applis de rencontre ont été l’objet des mêmes critiques, avec l’idée qu’une rationalisation inédite allait corrompre nos relations intimes. En fait, ces nouveaux services collent mal non pas avec la pratique de l’amour, mais avec ses représentations.
L’inscription
En Juin, après des mois à m’investir plus que de raison dans une relation asymétrique par peur que “tous les mecs bien soient pris”, j’ai eu besoin de me rassurer et de me changer les idées. Mes copains étant tous en couple ou presque, je commençais à avoir l’impression de jouer aux chaises musicales et je m’imaginais évidemment à mes 30 ans, instant fatidique où la musique s’arrêterait pour toujours, exclue du cercle et condamnée à 50 ans de solitude.
À la base de cette terreur assez irrationnelle et pessimiste, il y avait une réalité : je ne faisais pas de nouvelles rencontres. Mes chances de “retrouver l’amour” étant donc très faibles, j’en étais réduite, telle Madame Bovary coincée dans son bled, à fantasmer sur des vieux crushs ou à jeter mon dévolu sur le premier ami d’ami dont je croiserais la route.
Cette prise de conscience a eu raison de la condescendance qui m’avait tenue éloignée des applis. Adoptant une posture plus pragmatique, j’ai téléchargé Hinge et me suis attelée à créer mon profil et le remplir de photos et d’informations qui me semblaient vraiment refléter ma personnalité - savourant la perspective de cette nouvelle ère où je serais plus que jamais moi-même dans la séduction.
On m’avait présenté l’application Hinge comme “la meilleure”, tant pour son design (des profils en général fournis et incarnés, un nombre limité de likes à distribuer…) que sa population plutôt “CSP+”. C’est en tout cas l’impression que j’ai eu en découvrant les mentions d’écoles plus prestigieuses les unes que les autres, ainsi que les objectifs annuels de certains - “courir un marathon”, “finir ma thèse”, “apprendre le japonais”.
Je me suis demandée si l’application exacerbait ou non un phénomène d’entre-soi, permettant tout autant de rencontrer des gens hors de sa bulle sociale que d’exacerber les filtres du diplôme, du métier ou de la religion. Une chose est sûre : l’appli m’a confrontée, de façon un peu brutale, à mes critères de sélection imprégnés d’homogamie (tendance à rechercher un conjoint dans le groupe social auquel on appartient) et de schémas de société que je pensais déconstruits. J’ai par ailleurs fait preuve d’une mauvaise foi sans nom en commençant par ignorer les filtres proposés (niveau d’étude, taille, origine ethnique, religion, etc) et matcher avec quelques garçons situés hors de mes normes sociales… Toutes ces belles intentions pour me retrouver plus tard à ignorer royalement leurs messages. J’ai arrêté de vouloir me donner bonne conscience depuis.
Dans L’algorithme est-il un tue-l’amour, passionnant épisode de l’émission La Grande Table des idées, Marie Bergström expliquait d’ailleurs que les applications ne poussaient ni à “l’abolition des frontières sociales”, ni à “l’hyper sélection”.
En fait, ce n’est ni l’un ni l’autre. Les applis de rencontre ne font que mettre en exergue les logiques de reproduction présentes dans les relations intimes, sans les transformer en profondeur. Les choix relatifs à l’âge, la classe sociale et l’origine ethnique y sont soudain plus visibles. Ces sites et applis permettent donc une explicitation des logiques sociales et des inégalités présentes dans les échanges amoureux et sexuels.
Confiante, les conseils du Self Love project en tête, j’ai commencé à faire défiler les profils. Ce qui me semblait intimidant et engageant les premiers jours s’est peu à peu banalisé. Comme pas mal de filles, je me suis rapidement retrouvée noyée sous les sollicitations - jamais autant de mecs n’avaient voulu discuter et prendre un verre avec moi - et mon usage de l’appli est devenu celui d’une princesse flemmarde. Ainsi, j’ai vite arrêté de faire le premier pas et suis devenue très exigeante - à la moindre faute de goût, à la moindre blague un peu lourde… Bam, next ! Et puis, on m’a proposé un verre et il a fallu se jeter à l’eau. (Dans la suite de cette newsletter, j’ai modifié tous les prénoms).
Les premiers rendez-vous
J’ai rencontré Gaël par un brûlant samedi après-midi de Juin. Après avoir échangé sur l’appli, on s’était mis d’accord sur une balade au jardin de Bagatelle. Seul et recourbé sur son portable, il était facile à repérer. J’ai lutté contre mon envie de fuir et me suis approchée de lui - “coucou !” Il transpirait à grosses gouttes et semblait encore plus stressé que moi. Pour compenser ma gêne, je lui ai posé plein de questions. Brésilien, il était arrivé en France trois ans auparavant. Il m’a raconté sa jeunesse rythmée par les concours de piano, son master à polytechnique et son boulot dans les cryptos. Malgré son ambition, son audace et son parcours académique impressionnant, il ne m’attirait pas. L’indifférence avec laquelle il parlait du pays et des proches qu’il avait quittés me rendait triste et je ne me projetais pas dans la vie de quelqu’un d’aussi sérieux, solitaire et introverti. Ceci dit, ce rendez-vous, dont je me faisais une montagne et qui a sans doute duré une heure de trop, m’a pas mal rassurée - ce n’était pas si terrible, et ces applis ne comptaient pas que des collectionneurs de plans cul blasés ! Comme l’avait dit Maï Hua dans un super épisode du podcast de Fab Florent Deuxième vie (après le divorce) :
En voyant les profils de tous ces hommes - des pompiers, des profs, des journalistes… Je me suis dit “oh mais on est tous pareils en fait, on cherche tous l’amour !”. Quelque-chose s’est détendu par rapport à ce préjugé de “l’homme prédateur”.
Quelques jours plus tard, j’ai retrouvé Quentin dans un bar à bières aux Batignolles. Originaire de l’Est de la France, il avait une trentaine d’années et faisait de la com’ dans la finance. Gentil, chaleureux et spontané, il m’a fait rire en me racontant les vacances catastrophiques dont il revenait. J’ai d’abord accepté que l’on se revoie, mais je me suis vite rendu compte que j’avais la flemme d’entretenir notre conversation WhatsApp. J’ai pris le prétexte des vacances pour lui expliquer mon manque de motivation. Il ne m’a jamais répondu.
Pierre ressemblait à Quentin. Il venait d’Auvergne, habitait Neuilly et travaillait lui aussi dans la finance. Il avait l’air gentil, droit et respectueux. À côté du boulot, il s’occupait de créer un bar dédié aux anciens de son école d’ingé, ce que je trouvais plutôt sympathique. Et si je ne tenais pas compte de ses dents qui partaient dans tous les sens, il n’était pas mal. Mais on s’est revus et j’ai trouvé que la conversation ne volait pas très haut. Je n’arrivais pas à faire abstraction de petits détails, comme la mention de ses bars fétiches à Châtelet et Saint-Michel, qui me donnait l’impression qu’un monde nous séparait. Surtout, la complicité qui aurait pu rendre dérisoires ces différences de codes manquait. Son dernier texto était si compréhensif et bienveillant que je me suis demandé si je ne passais pas à côté d’une pépite, mais c’est vite passé.
Quelques jours plus tard, je prenais l’apéro avec un 4ème garçon sur la pointe de l’île de la Cité. Titulaire d’un doctorat en physique quantique, Julien s’est sans surprise avéré très perspicace - le genre qui apprend le japonais et feuillette Nietzsche le week-end pour s’amuser. Discuter avec ce jeune homme brillant et érudit fut agréable et stimulant, mais il m’a semblé manquer de fantaisie, de sensibilité et d’auto-dérision. Il m’a posé peu de questions, a eu l’air de me prendre pour une fille très perchée et lorsqu’on s’est dit au revoir sur le Pont-Neuf, on savait qu’on ne se rappellerait pas.
Le n°5
Fin Juin, je reçois un message vocal d’Adrien - “Coucou Loulou !! hihi !” Je reconnais le gloussement d’une de mes amies proches, qui s’est avérée une copine de lycée de ce nouveau match. Deux jours plus tard, encouragés par ce petit coup de pouce, on se racontait nos vies sur les quais d’Austerlitz. Il travaillait dans les médias, était passionné par la presse écrite et m’a tout de suite semblé intelligent, curieux, cash, sociable, bon vivant, droit sans être moralisateur, sûr de lui sans être prétentieux... Fêtard et entouré d’une bonne bande de potes, il m’a semblé plus fun que les garçons que j’avais rencontrés jusque-là. On avait plein de choses à se raconter et je me rappelle, sur le chemin du retour, avoir vivement espéré qu’il m’écrive.
Quelques jours après notre première rencontre, après s’être vus 4 fois en une semaine, on s’embrassait timidement sur un banc d’une avenue du 12ème, dans l’ambiance apocalyptique des émeutes qui ont embrasé la France début Juillet. Complètement sur une autre planète, indifférente aux poubelles en flammes et aux bruits d’explosion, je ne pensais qu’à couvrir de baisers ses joues toutes douces.
Et puis, on est partis en vacances et notre incompatibilité a commencé à se révéler. “C’est un peu un “S” hein !", m’avait prévenue mon amie, en référence à la fonction “Sensation” du test de personnalité MBTI. Je ne m’attarderais pas sur cette inside joke d’école de commerce, sinon pour vous dire que cette lettre “S” a tendance à rassembler les personnalités avec qui je connecte moins facilement. Et je n’avais aucune envie de me l’avouer, mais les textos échangés cette semaine-là révélaient plus de tendresse qu’une réelle complicité.
À notre retour, ce n’était pas aussi fluide qu’espéré. Plus on se voyait, plus nos conversations se ponctuaient de quiproquos, d’incompréhensions et de blancs un peu gênants. Et si j’ai au départ fantasmé de me fondre dans la routine bienheureuse qu’il me décrivait, rythmée par les parties de pétanque et les soirées bien arrosées avec ses potes de lycée, nos rendez-vous en terrasse ont commencé à me sembler répétitifs. Un jour, Adrien m’a dit qu’il ne comprenait pas l’intérêt des romans - une déclaration qui n’aurait peut-être pas posé problème si elle n’avait pas révélé notre incapacité à en discuter par la suite.
Nos dernières soirées ensemble étaient aussi laborieuses que tendres et électriques. La dernière fois que je l’ai vu, on a passé la nuit ensemble et je me suis rarement sentie aussi connectée à quelqu’un physiquement. Notre difficulté à nous parler m’a semblé d’autant plus déchirante. Quelques jours plus tard, j’ai reçu un texto au milieu d’une balade en vélo en famille. Il m’écrivait qu’on était trop différents pour que ça fonctionne et qu’il préférait s’arrêter là. J’ai lâché ma petite larme, mais je savais qu’il avait raison.
De petits excès
À mon retour à Paris mi-août, j’ai moins utilisé l’appli pour trouver l’amour que pour combler le vide laissé par Adrien et les départs en vacances. J’ai passé en revue les dizaines de likes qui s’étaient accumulés sur mon profil et j’ai matché jusqu’à me retrouver un peu dépassée par le nombre de conversations à entretenir.
J’ai commencé par discuter avec Hugo, un beau gosse à l’humour transgressif. La conversation est très vite devenue un peu olé olé, contrastant avec les échanges tout à fait pudiques et respectables que j’avais eu jusqu’alors. Il m’a proposé de le rejoindre chez lui le lendemain pour “jouer à Mario Kart”.
- Ça fait vraiment gros plan Q ton histoire…
- Mais non, pas du tout. C’est à la bonne franquette !
- Bon why not. Sache que je file ton adresse à 12 copines ;)
Je l’ai retrouvé le lendemain, assez nerveuse. Entre le moment où je composais le code de sa porte cochère et celui on se déshabillait, il ne s’est pas passé plus de 4h. J’ai commencé à avoir du mal à me projeter quand a commencé une éloge du Puy du Fou et qu’il est monté sur ses grands chevaux au sujet de l’écriture inclusive, mais il me faisait rire, avait un côté attendrissant et beaucoup de répartie. À 2h du matin, d’humeur câline et jusqu’au boutiste, j’ai décidé de rester.
Le beau nounours est alors devenu froid, distant et brutal - du genre qui décide tout seul d’aller chercher un préservatif dans un tiroir et tente des gestes peu conventionnels sans prévenir. Scotchée par son manque de délicatesse, je n’ai rien su lui dire. Après une insomnie d’une heure, je me suis rhabillée et je suis partie sur la pointe des pieds. Le lendemain, je l’ai remercié pour la soirée en ajoutant que je ne m’étais pas sentie très “connectée” à lui au lit. Il a acquiescé : peut-être qu’on pourrait rester potes ? Sans forcément avoir la déter’ de devenir copains comme cochons avec mr Puy du Fou, ça m’a malgré tout fait plaisir de finir sur une note plutôt bienveillante et sincère.
Le mardi suivant, j’ai retrouvé un garçon qui ressemblait à un ancien crush. Après 5 minutes de discussion, je savais qu’il vivait chez ses parents (bon je sais, moi aussi…), venait de se faire renvoyer d’une alternance et se rêvait réalisateur de cinéma. Non, il n’avait jamais touché une caméra de sa vie. Bref, il ne m’a pas semblé très mûr et j’ai tout de suite su que ça n’allait pas le faire. On s’est installés dans la salle de concert de La Gare une demi-heure en avance et là, je n’ai plus su quoi lui dire. J’ai eu beau passer aux toilettes pour gagner du temps, les 15 minutes d’attente qu’il restait à mon retour m’ont semblé insurmontables. Après un long regard dans le vide, je me suis brusquement tournée vers lui et j’ai bredouillé des excuses. 20 minutes plus tard, j’étais installée dans le fauteuil moelleux d’un cinéma, soulagée de m’être sortie de ce bourbier.
Le mercredi, un graphiste me parlait de ses podcasts préférés, des effets spéciaux qu’il créait pour la série Arken et de son projet d’achat à Saint-Ouen. Je n’ai pas spécialement accroché et lorsqu’il m’a proposé de “passer sur Whatsapp” deux jours plus tard, je lui ai répondu que je ne le sentais pas à 100%. Il m’a demandé pourquoi, ce à quoi j’ai répliqué par une réponse assez lisse, rédigée avec l’unique objectif de mettre fin à la conversation sans le blesser. “Tu veux dire que tu ne cherches pas à te mettre en couple ?” m’a-t-il alors répondu. J’ai menti en disant que je n’avais pas envie d’une relation dans l’immédiat. 10 minutes plus tard, je recevais tout un argumentaire - chouette, lui non plus n’était pas encore dans le délire “petit pavillon, chien, gosses et tout !” - et une déclaration pleine de fougue auxquels je ne répondrais pas.
Le jeudi, j’avais deux rendez-vous et rien que d’y penser, une immense flemme. À l’heure du goûter, j’ai siroté un jus d’orange en papotant thèse de maths et stage UCPA avec un ingénieur d’une trentaine d’années très gentil, mais un peu rasoir. Trois heures plus tard, lors de ce qui m’a semblé le 36ème verre de ma semaine, je discutais VTC, vie berlinoise et discours de mariage avec un jeune homme sur une terrasse du 18ème. Et c’était sympa. Au fur et à mesure de la soirée, j’ai enregistré que Gaspard était non seulement très drôle mais excellent pianiste, pointu en cuisine, un peu intello et féru de vélo. On venait de familles soudées, il avait deux frères et moi deux soeurs, on avait fait les mêmes études… Tout me semblait familier. Je me suis demandé si l’homme de ma vie ne se tenait pas devant moi et j’ai espéré qu’il m’écrirait. Il l’a fait et on s’est dit qu’on se verrait après les vacances.
Entre-temps, je suis partie dans les Pyrénées pour rendre visite à ma famille et marcher le long du GR10 avec des copains. La veille du départ en rando, responsable du “plein terroir”, je me suis rendue à la boucherie du village. À peine y étais-je entrée que je croisais le regard du jeune apprenti qui s’affairait de l’autre côté du comptoir. La queue était longue et on a eu le temps de se regarder plusieurs fois avant qu’il ne s’occupe de moi. Non sans des petits gloussements nerveux, je lui ai demandé 5 saucissons et un peu de terrine - “apparemment, elle est à tomber par terre !”. On a échangé 3-4 phrases à la caisse. En fin d’après-midi, j’ai reçu le message d’un inconnu sur Instagram. “Tu m’as intrigué tout à l’heure !”, m’avait il-écrit. “Moi aussi !”, lui ai-je répondu, désinhibée par l’écran et la faible probabilité que je le recroise. À ce moment-là, je me suis dit que les vraies rencontres étaient bien plus charmantes et naturelles que les discussions post-match.
À mon retour de rando, on a convenu d’une date avec Gaspard. Parce qu’il mettait du temps à me répondre et me semblait distant, mes insécurités ont refait surface et je me suis retrouvée à swiper frénétiquement sur l'appli pour me donner une illusion de contrôle. Ni une ni deux, je discutais avec un autre type. Une stratégie nommée “multi-dating” et commentée par la coach Claudia Colombani :
Le multi-dating est le fait de dater plusieurs personnes jusqu’au moment où une relation s’officialise. C’est quelque-chose qu’on nous recommande parfois pour “ne pas mettre tous vos oeufs dans le même panier”, ne pas “surinvestir la relation”, “garder du recul”, etc.
Moi, je pense que c’est une façon de contourner les vrais problèmes : votre estime de vous et votre capacité à faire face à vos peurs et vos émotions. Et vous pouvez dater 18 personnes en même temps, ces problèmes de fond que vous n’aurez pas réglés vont ressurgir au moment où vous choisirez une personne. (…) Je pense aussi que ça peut vous empêcher de vous investir émotionnellement dans ces relations.
Le dîner a confirmé que Gaspard était marrant, intelligent et cultivé, mais je ne l’ai trouvé ni très à l’écoute, ni très curieux, ni très chaleureux. En fin de soirée, alors que je m’apprêtais à enfourcher mon vélo, il m’a demandé précipitamment s’il pouvait m’embrasser. Malgré ma surprise, j’ai accepté et 10 minutes plus tard, il a murmuré “on va chez moi ?” avec une hâte qui m’a fait un peu hésiter. Mais toujours d’humeur exploratrice, je l’ai suivi dans son joli studio. La nuit fut tendre et fluide, sans méga coup de coeur pour autant. Le matin, je filais après un café au lait et une bise sur le pas de la porte. Au texto gentil et innocent que je lui ai envoyé à mon arrivée, il a répondu sans enthousiasme. J’ai été de mauvaise humeur toute la matinée.
Quand les 15 ans de piano, le CAP pâtisserie, la passion vélo, le sens esthétique et la culture G irréprochable auraient amené la Louise d’il y a 6 mois à tenter de forcer le destin, j’ai repensé aux mots de ma psy sur l’importance du bien-être et de la connexion émotionnelle. Et je me suis dit : “bon, tant pis.”
Gaspard avait beau remplir pas mal de cases du gendre idéal, on manquait de complicité et je ne me sentais pas encouragée à être moi-même en sa compagnie. Avec du recul, je réalise qu’on ne s’est rien dit de très personnel et que j’ai surtout l’impression d’avoir rencontré sa carapace. Les conseils de ma psy rejoignent les mots de l’autrice américaine Ava Huang dans l’édition The agony of eros : dating de sa newsletter.
Les gens savent ce qu'ils veulent, mais rarement ce dont ils ont besoin. Ils ont une idée du partenaire qui leur plairait, souvent basée sur un ensemble de qualités qu'ils considèrent comme attirantes, que leur groupe social valorise et qui flatteraient leur ego. Par exemple, ils se disent : “je veux quelqu’un qui soit sportif, qui ait un emploi stable, qui veuille des enfants, qui ait de bonnes relations avec sa famille, qui soit drôle.” (…)
La seule chose que l’on devrait rechercher est une forte connexion émotionnelle, relative aux questions suivantes : “dans quelle mesure puis-je être moi-même avec cette personne, est-ce qu’elle me comprend et s'intéresse à qui je suis, à mes sentiments et à mes pensées, pouvons-nous nous adapter aux préférences de l'autre, parvenons-nous à communiquer ?”.
Alors, je ne suis pas sûre que verbaliser certains critères soit complètement inutile lorsqu’on est mature et lucide sur ses envies et besoins, mais je la rejoins sur le fait qu’on peut faire des fixettes sur des critères secondaires voire insignifiants.
Chaque rencontre suppose de faire cette distinction entre les cases à cocher et l’essentiel, et parfois de dépasser ses préjugés. En voici quelques exemples : d’abord, celui de la réalisatrice Mai Hua, qui a raconté sur son blog sa rencontre avec son nouvel amoureux 6 ans après un divorce :
Vous allez me demander : “correspond-il à ce que tu avais imaginé ?” La réponse: oui et non. Oui dans ce qui était essentiel (pour moi), c’est-à-dire ce qui se passe dans le temps présent : les sensations, les valeurs, le bien-être ressenti, profond, l’admiration mutuelle. Non dans ce qui ne l’était pas - tout ce qui est de l’ordre du projectif, du genre : « on aura une porshe ensemble »… hahaha, nan je ne voulais pas ça, mais vous comprenez. En fait je n’ai pas eu l’homme que je “voulais” mais celui qu’il me ”fallait”.
Mais aussi celui de la blogueuse Garance Doré, qui a décrit sur son blog, non sans une forme de sidération, l’homme avec qui elle s’est mariée l’année dernière :
Je suis tombée amoureuse sans réaliser à quel point il était l'opposé absolu de ce que je venais de passer toute une vie à concevoir.
Ok, il est charmant. Mais... Il voyage constamment. Il vit en NOUVELLE-ZÉLANDE pour l'amour de #$@ ! (…) Il est papa ! (…) Il est tellement sentimental qu'il peut pleurer en regardant une vieille allumette brûlée à un feu de camp il y a dix ans. Il collectionne les livres (…) et il y a des choses partout. Rien qu’à l’écrire, j’ai mal au cœur. Il mange comme sept. Il a toujours faim (...) Nous n'avons pas les mêmes goûts de meubles. Enfin, il ne me laisse pas le contrôler, ce qui, vous en conviendrez, est un scandale.
Enfin, celui d’Aurélien et Bérénice, personnages du roman d’amour d’Aragon, commenté par Charles Pépin dans son essai La Rencontre où il rappelle, au passage, que “l’inattendu fait le sel de la rencontre”.
“La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. Elle lui déplut, enfin. Il n’aima pas comment elle était habillée. Une étoffe qu’il n’aurait pas choisie. Il avait des idées sur les étoffes.”
L’incipit ne laisse aucun doute : Bérénice ne correspond pas aux critères d’Aurélien. Leur rencontre aura pourtant lieu, parce qu’Aurélien saura s’ouvrir à l’inattendu, parce que le réel s’imposera avec plus de force que les représentations qu’ils s’en font.
Nous visualisons souvent avec précision la personne que nous désirons : son apparence, son regard, son métier, ses réactions, sa façon de penser, de parler, de faire l’amour… Mais bien souvent, nous confondons d’authentiques convictions avec des jugements hâtifs.
Plus loin, le philosophe fait le lien avec les applis de rencontre :
“Ayez l’amour sans le hasard” promettait il y a quelques années une publicité Meetic. Étonnant programme, pour ne pas dire mensonger. Car pour rencontrer l’amour, mieux vaut compter sur le hasard (…)
Il est possible de déjouer ces algorithmes retors en restant vagues dans nos critères et en nous laissant surprendre par un regard, un sourire, un style ou une mise en scène… Soyons un peu plus poètes et aventuriers ! Sortons de chez nous, swipons, likons, heureux de ne pas savoir à quoi nous attendre !
Finalement, Gaspard m’a proposé qu’on se revoit. Mais passé le petit égoboost, là où je me serais autrefois mise au défi de percer sa carapace et de créer une relation envers et contre tout, je me suis rendu compte que je n’avais plus envie de m’attacher pour rien ni d’entretenir une relation en laquelle je ne croyais pas. Surtout, j’ai ressenti un vrai coup de coeur depuis. Alors j’ai repensé aux mots de Claudia Colombani - “quand on veut créer un lien, il faut accepter de prendre un risque” - et j’ai écrit à Gaspard que je ne n’étais plus motivée.
Mon petit bilan : beaucoup d’apaisement !
On parle beaucoup des défauts des applis de rencontre, et j’étais la première à considérer ces prétendus “hypermarchés du sexe”, pour reprendre l’expression popularisée par Michel Houellebeq, avec méfiance et snobisme. Comme le rappelle le journaliste Ali Rebeihi dans un épisode de son émission Grand bien vous fasse, elles représentent pour beaucoup “la victoire d’un capitalisme des sentiments amoureux qui transforment l’autre en marchandise jetable, dans un marché dérégulé de l’amour…”
Mais si ces raccourcis génériques ont une part de vérité, ils me semblent non seulement en contradiction avec la modularité de ces applications, que chacun peut utiliser au gré de ses envies, mais démentis par les statistiques. Aux États-Unis, une étude de 2017 annonçait qu’un couple sur 5 s’était rencontré sur les apps. Et selon Statista, ces dernières seraient désormais le premier lieu de rencontre des couples français, dont 22% se seraient formés par ce biais en 2021. Un usage qui s’est probablement intensifié durant les années de confinements et de couvre-feux qu’on a traversées récemment.
D’ailleurs, toujours dans la même émission, la sociologue Marie Bergström et le professeur de philosophie Richard Mèmeteau nuançaient le débat :
R. M : Pour moi, cette idée de marchandisation est une chimère. On ne trouve pas quelqu’un sur une appli comme on irait chercher une tranche de jambon dans un supermarché : parce que l’autre nous répond et nous parle, et parce qu’on y achète pas les gens. Ça, ça s’appelle la prostitution. (…) Et puis, on critique l’idée d’un ciblage, mais rappelons qu’on cible tout le temps, et pas qu’au supermarché !
M.B. : Le terme marché est utilisé de manière métaphorique, et il me semble qu’il s’agit plus d’une critique qui exprime des appréhensions qu’une analyse qui décrirait de véritables pratiques. Le terme “marché” est ce qu’on trouve de plus moche, sale et opposé à l’amour, c’est pourquoi on l’utilise. (…) Rappelons que dans les relations humaines, il y a des échanges marchands et non marchands. Ces modes de rencontre, qui comportent certes des échanges plus ou moins calculés et rationnels, sont non marchands.
Personnellement, m’inscrire sur Hinge m’aura beaucoup apaisée. En trois mois, cette appli m’aura permis d’entamer des conversations avec quelques dizaines de mecs et de boire un verre avec une douzaine d’entre eux. Des rencontres qui se sont certes soldées par des conversations sans intérêt et quelques pics de malaise et d’ennui, mais aussi des expériences rafraîchissantes, excitantes ou rigolotes, et une petite amourette qui m’aura mis des papillons dans le ventre et réchauffé le coeur pendant plusieurs semaines.
Je me suis rendu compte que ma peur que “tous les mecs bien soient pris” était infondée. Et puis, je n’ai plus le sentiment de subir l’hermétisme de mes cercles de copains. Comme le rappelle Charles Pépin :
Le virtuel a cette vertu de pouvoir nous extirper hors de notre cercle social et professionnel, de nous entrebâiller des fenêtres vers des personnes, des espaces auxquels nous n’aurions jamais accédé sans lui.
J’ai bien plus confiance en moi qu’il y a trois mois. Un égoboost assez banal et artificiel vu la position de force structurelle des femmes sur ces applis, mais pas désagréable. Constater que des garçons sympas avaient envie de me revoir après un premier “date” m’a rassurée sur ma capacité à plaire. Un “capital érotique” encore une fois lié à des normes issues d’un contexte social et historique bien précis, mais qui m’arrange bien. Par ailleurs, j’ai réalisé que mon côté caméléon me permettait de rendre la plupart des rencontres à peu près fluides, même lorsque je ne passe pas un si bon moment que ça - je vous accorde que ça ne sert pas à grand-chose, mais j’en retire une petite fierté.
Ceci dit, si mon expérience des applications a été globalement positive, c’est sûrement que je me suis inscrite à un moment où je me sentais bien dans mes baskets. Je sortais de 6 mois de thérapie avec un sentiment d’acceptation, d’apaisement et de confiance qui m’a permis de m’y lancer sans trop d’attentes et sans rien prendre personnellement (ce qui, encore une fois, est plus facile lorsqu’on se fait liker son profil 25 fois par jour).
Alors je ne dis pas qu’il faut avoir tout réglé et être parfaitement épanoui pour que ça se passe bien. Garance Doré le rappelle avec beaucoup d’honnêteté dans un épisode de son podcast Le Rendezvous, dans lequel elle revient sur l’année où elle s’est retrouvée célibataire à 45 ans, épreuve terrifiante pour elle qui avait toujours réussi à ne pas se retrouver seule. Si une thérapie et des lectures de développement personnel lui ont permis de travailler sur elle cette année-là, elle insiste : au moment où elle a rencontré son futur mari, elle n’avait ni apaisé ses insécurités, ni appris à être seule. Tout au plus avait-elle gagné en lucidité sur son fonctionnement, ses besoins et ses erreurs passées.
Honestly, that year was all about me healing on one side, but also dating constantly. (…) Until one day, I did meet a guy. And if it felt more peaceful than anything else, it’s because we recognized each other’s needs right away. We had the same values, something that really matched and made the process of becoming a couple easier et less stressful than all my other relationships.
It would be easy for me to tell myself : “you worked hard on yourself, you finally healed and that’s when the right guy came over your path”. What I truly believe, is that the man that I married is someone whose psychological profile fits well with mine.
You can’t heal yourself into finding love. Because you’ll never be healed. You can work on a few things, but we all come to love with fear, trauma, weird things we want to hide. My fear of abandonment will probably always be there. Someone that’s a good match will help you on your path in a way that will bring love, peace, desire, pleasure and intellectual connection.
Comme Garance, j’ai beau être heureuse de profiter du célibat pour prendre du temps pour moi et passer du temps avec mes copains, j’ai envie de retrouver quelqu’un depuis le jour où je me suis séparée de mon ex. Ceci dit, depuis quelques mois, je n’aborde plus la question avec la même urgence, la même peur de la solitude et le même besoin vital de me sentir aimée, rassurée et validée. Entre-temps, la thérapie m’a permis de travailler sur mon estime de moi (un axe central des réflexions du Self Love project). Il y a des hauts et des bas, mais je me sens plus proche de l’état d’épanouissement évoqué par bell hooks dans son très bel essai À Propos d’Amour :
On peut s’offrir à soi-même cet amour inconditionnel. Lorsqu’on se fait ce cadeau précieux, on est alors en mesure de tendre la main aux autres à partir d’un état d’épanouissement et non d’un état de manque. Ne t’attends pas à recevoir d’une autre personne l’amour que tu ne te donnes pas à toi-même.
Cet état d’esprit a des conséquences sur ma manière d’appréhender les relations. Pour la première fois de ma vie, je ne suis plus obsédée par les schémas de contes de fées, dont je pensais pourtant qu’ils m’avaient formatée à vie à un réflexe d’exclusivité et de projection. Je ne suis pas une grande révolutionnaire et j’aspire toujours au package mariage + enfants, mais je sais que je ne me “poserais” pas avec quelqu’un avant de ressentir une forme d’évidence et une capacité à me projeter à long terme. En attendant, je trouve rafraîchissant de faire l’expérience de l’“élargissement du répertoire amoureux” et de “la dissociation entre la sexualité et la conjugalité” décrits par la sociologue Marie Bergström. Encore une fois, je me retrouve dans le témoignage de Mai Hua :
À ce moment de ma vie, j’ai appris à appréhender plein de relations amoureuses / sexuelles / amicales… Où la première question n’était plus “est-ce que ça va marcher ?” Non : on passe un super bon moment et l’avenir, on s’en carre. Parfois, on sait très bien qu’on ne se projette pas avec la personne, mais c’est quand même génial, beau, authentique. J’ai connu plein d’amours différents et ça m’a fait beaucoup de bien.
Enfin, j’ai remarqué que j’étais moins concentrée sur les signes que m’envoyait l’autre, et plus attentive à ce que je ressentais : est-ce que cette personne m’intrigue, est-ce que je suis moi-même, est-ce que la communication est facile, est-ce que je passe une bonne soirée ?
Et puis, mes expériences passées m’ont permis de discerner mes red flags : un égo fragile, un tempérament angoissé, hypersensible ou mélancolique… Tout ça fait mauvais ménage avec ma personnalité. L’ambiance “tragédie grecque” de quelques histoires m’a montré que j’avais besoin de quelqu’un de joyeux. Une relation avec un casanier, que j’avais besoin de quelqu’un de sociable et curieux. Des aventures avec des âmes d’artistes, que j’avais besoin de quelqu’un de carré et rassurant. Des histoires avec des personnes peu sûres d’elles, que j’avais besoin de quelqu’un de mature et assuré.
Bien sûr, un portrait encore plus précis du “mec idéal” s’impose de temps en temps, avec sa multitude de dons et d’atouts - la beauté, l’élégance, l’oreille absolue, le bon goût, l’intelligence hors pair, la culture générale, l’amour du cinéma et de la littérature, les talents de masseur et de cuisinier, la famille adorable, la jolie maison sur la côte Atlantique et la flopée de potes aussi sympas que drôles et intéressants… Mais la jeune femme mature que je deviens sent que ça n’est pas l’essentiel ;)
Bien sûr, ces applis sont loin d’être parfaites.
En tant que jeune femme, l’impression d’une infinité d’alternatives a certes un côté flatteur, elle peut rendre difficile de vraiment donner leur chance aux gens. De nature indécise, je suis assez sujette à la peur de passer à côté d’une “meilleure option”, et au risque de ne jamais m’arrêter de dater. Ceci dit, de vrais coups de coeur m’ont montré que j’en étais capable.
Et puis, je me suis demandée dans quelle mesure les surprises et les jolis hasards de la vraie vie créaient un story telling romantique qui donne de l’élan à une histoire. Les rencontres via appli sont démunies de cette croyance en un “coup du destin”. Quand j’ai demandé à ma copine Cassandra quelle était la différence entre les mecs qu’elle avait rencontrés via appli et son amoureux actuel (rencontré à un mariage), elle m’a répondu : “franchement, je crois que c’est beaucoup le fait de les avoir rencontrés sur appli ”. L’impossibilité de se raconter une belle histoire, certes un peu fictive, m’a fait aspirer à nouveau au caractère improbable et singulier des rencontres de la vraie vie.
En Août, la tendance au “multidating” dans laquelle je suis tombée a fini par créer pas mal de confusion et d’indécision chez moi. Pendant plusieurs semaines, je me suis sentie un peu blasée et j’avais du mal à savoir si mon manque de motivation était lié à une overdose de rencontres ou à un réel manque de fit avec les gens.
Eva Illouz, sociologue et autrice de l’essai La Fin de l’amour, a mis en évidence qu’alors que nous avons accès à plus d’opportunités, dans une période de normes sexuelles permissives et variées, nous avons à la fois moins de rapports sexuels et plus de difficultés à se mettre en couple que les générations qui nous précèdent. Un paradoxe dont elle a discuté avec le philosophe Raphaël Enthoven :
E. I. : Le fait d’avoir accès à une multitude de possibles change la donne. L’amour classique était basé sur une économie de la rareté qui a volé en éclats. Nous avons accès à une masse de possibles et d’aventures qui effritent, désorientent, amoindrissent le désir.
R. E. : Si vous multipliez les chances de rencontres, ne multipliez-vous pas les occasions de tomber amoureux ? « Pourquoi faudrait-il aimer rarement pour aimer beaucoup ? » demande Camus.
E. I. : Parce que le principe du désir est économique. C’est le principe de la valeur : donner de la valeur, c’est distinguer, choisir parmi des possibles, rendre rare ou unique ce qui est courant ou abondant.
Bref, les apps souffrent du syndrome du buffet - passée une phase d’euphorie et de gloutonnerie, la profusion de nourriture la rend banale voire écoeurante. Et il semblerait qu’avec les buffets comme les applis, j’ai besoin de temps pour trouver la bonne dose ! Comme me disait ma copine Agnès la semaine dernière : “faut avoir un peu faim aussi !”. J’ai compris que j’avais parlé avec beaucoup trop de mecs quand j’ai commencé à les confondre.
Le risque est alors de tomber dans une posture de consommation où l’on fait tout pour maximiser sa satisfaction, négligeant totalement de prendre soin les uns des autres - cf la banalisation du ghosting. Il y a deux-trois semaines, j’ai rencontré un adorable garçon qui m’a plu à certains égards. Mais après plusieurs dates très platoniques, je me suis rendu compte que je ne me projetais pas et que seules l’indécision et la peur de la solitude me poussait à continuer à le fréquenter tout en le laissant dans le flou. J’ai fini par lui écrire que je préférais m’arrêter là, et j’ai ressenti un vrai soulagement.
Au-delà de cette tendance à l’égoïsme, le risque est de perdre le goût de la courtoisie et de la séduction. Ça m’a rappelé cet épisode de L’amour et ses réseaux, série Arte mordante, où une certaine Milena racontait sa désillusion progressive dans la jungle des applis :
À chaque nouvelle personne, je me disais : “cette fois-ci, ça va être bien !” Pour pas grand-chose, en fait. (…) À un moment, je me suis rendu compte que je n’avais plus de valeurs amoureuses, plus de respect pour rien. Je trouve ça nul qu’on se permette de ghoster quelqu’un ou de l’appeler à 3h du matin pour lui dire “tu fais quoi ?” Y’a plus d’amour. (…) Ces applis, c’était comme le cimetière de tous mes fantasmes romantiques.
La semaine dernière, j’ai mis mon profil en pause et supprimé l’application et ses 236 notif’ de mon écran d’accueil.
En ce moment, j’ai envie de retrouver les petites surprises de la vraie vie. L’épisode de la boucherie et les regards à la dérobée quand je perçois plus qu’avant m’ont fait réaliser que les rencontres n’étaient pas aussi inaccessibles que ce que je pensais. Simplement, elles nécessitent de sortir de chez soi, de bousculer ses habitudes, d’être attentif à ce qu’il se passe autour de soi, d’aller vers les autres et de saisir les perches. Comme le rappelle Charles Pépin dans La Rencontre après avoir cité l’expérience du gorille :
Comment se rendre disponible à la rencontre quand les fils d’actualité, les likes et les notifications ne cessent d’attirer notre attention, quand on ne regarde même plus autour de soi ?
Cette disponibilité n’est pas une attention focalisée sur un but précis, mais un état général d’éveil. (…) La rencontre exige d’être capable de prendre son temps, de le perdre aussi, de s’arracher à la dictature des choses à faire et à la pression de l’urgence (…) Lorsque nous sommes ainsi disponibles, le présent nous fait parfois ce cadeau de nous offrir un avenir.
Rester à l’écoute, donc. Or il est très facile de développer un rapport obsessionnel aux applis. “Je vois beaucoup de patients obsédés par leurs matchs ne plus lever la tête de leur écran”, m’a dit ma psy quand je me suis inscrite sur Hinge en juin. La coach Claudia Colombani, du Self Love project, conseille d’ailleurs de ne pas dépasser les 3 sessions de 20 minutes par semaine.
C’est pourquoi, si je suis amenée à ré-utiliser l’application, j’imagine le faire de façon modérée et plus sélective. J’ai trouvé rigolo de vivre l’expérience à fond et d’avoir quelques fails à raconter, mais j’ai aussi eu le sentiment de perdre mon temps. Et après avoir donné leur chance inutilement à des personnes qui ne m’attiraient pas, je garde en tête qu’on ne peut pas forcer son désir et sa curiosité.
J’aurais adoré conclure cette newsletter par une happy end du type “and this, kids, is how I met your dad”. Mais j’avais la flemme d’attendre d’avoir rencontré l’homme de ma vie pour vous faire un état des lieux. De toute façon, quel que soit l’endroit où je rencontrerai ce dernier, je ne regrette pas une seconde de m’être inscrite sur une appli.
Une chose est sûre : alors que certains annoncent “la fin de l’amour”, plusieurs de mes amis sont tombés très amoureux ces derniers mois et l’attendrissement que j’ai ressenti en écoutant leur récit m’a rappelé que je ne trouvais pas grand-chose de plus beau et merveilleux - à condition d’en déconstruire les schémas toxiques et désuets. Mais je ne suis pas pressée : je m’amuse beaucoup, et je trouve assez délicieux d’attendre quand on a confiance.
Enfin bon, délicieux… Non désiré, le célibat peut comprendre bien des moments de solitude, de déception, d’inquiétude, de nostalgie ! Ce post du Self Love Project, qui le comparait à une traversée du désert ponctuée de paysages arides et de mirages démoralisants, avait d’ailleurs résonné. Dans ces moments-là, j’accepte que c’est pas tous les jours facile et je me dis “ça va aller, ma petite poulette !” Mais on peut espérer rencontrer quelqu’un sans subir son célibat, c’est pourquoi j’essaye au maximum de profiter de la merveilleuse liberté, du temps pour soi et des expériences rigolotes, inédites et rafraîchissantes qu’il rend possible.
Vous connaissez BAM Ticket ? ✨
Aujourd’hui, je vous présente BAM Ticket, billetterie éthique qui vend des places de spectacles à Paris. Concrètement, c’est une équipe de professionnels du spectacle vivant qui en avait marre de voir leur secteur adoré malmené. Voici comment ils se présentent :
En gros, BAM Ticket est une plateforme de réservation de billets qui s'est donnée pour mission d’aider tout le monde : théâtres, producteurs, et spectateurs.
OK, en faisant quoi exactement ? 🤔
En aidant les théâtres à remplir leurs salles en valorisant (gratuitement) leurs spectacles sur leur site, en les aidant à moderniser leur com’ et à utiliser leurs données pour mieux répondre aux attentes des spectateurs, en reversant leurs bénéfices dans le secteur (BAM est labellisé ESS).
En aidant les spectateurs à trouver leur bonheur dans la jungle des spectacles… Et cela à l’aide d’un joli site, de playlists, de recos, de critiques et de petites blagues. Et c’est même pas plus cher qu’ailleurs ! 😉
Un concours ! 💐🥳
BAM m’a proposé de vous faire gagner deux places du spectacle de mon choix. Je suis donc ravie de vous proposer de remporter deux places pour Oublie-moi, spectacle de Marie-Julie Baup et Thierry Lopez qui m’a vraiment bouleversée le printemps dernier et a été récompensé par 4 Molières depuis. Je préviendrai la·le gagnant(e) et elle·il pourra récupérer les deux places le jour J au guichet.
📍Où ? Quand ? Le Jeudi 5 octobre à 19h, au Théâtre La Bruyère.
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Vous le savez peut-être, je passe des dizaines d'heures sur chaque newsletter (temps de recherche, d'écriture et de relecture) afin de vous offrir une lecture agréable, instructive et illustrée. La pérennité de ce travail dépend en partie de votre soutien ! 😊
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2€ par mois : accès à ma bibliothèque virtuelle 📚, une liste d’endroits pour travailler & écrire à Paris ☕️, un groupe whatsApp de partage de recos 💘
5€ par mois : accès toutes les contreparties du niveau précédent + des audios avec mes conseils d'écriture 🎙️, un défi d’écriture mensuel accompagné d’extraits de textes pour vous inspirer ✍️, un FAQ mensuel 🙋🏻♀️
10€ par mois : accès à toutes les contreparties du niveau précédent + un de mes dessins imprimé au format carte postale par l’Usine à Pixels, imprimeur d’art parisien, une fois par mois ✨
Voilà, c’est la fin de cette newsletter. J’espère qu’elle vous a plu ! Si c’est le cas, n’hésitez pas à la transférer à un(e) ami(e) et à vous abonner si ce n’est pas déjà fait.
✍️ Et comme d’habitude, n’hésitez pas à me répondre ou à commenter le post pour me partager votre ressenti ou me faire vos recommandations. Je le dis à chaque fois mais vous lire me fait toujours super plaisir !! Et si ça vous dit de me faire un retour plus général sur la news, c’est possible sur ce formulaire.
Merci beaucoup, plein de bisous et bon week-end ! 💕
À bientôt, Louise
Salut Louise !
J'ai lu cette newsletter d'une traite dès que je l'ai reçue, c'était très très chouette !
J'aime beaucoup l'univers de Sally Rooney en ce moment et tout ce qui touche aux relations amoureuses et aux visions de la société et ça m'a replongé dans ce bon mood. Je ne sais pas si tu as lu son dernier livre Où es-tu monde admirable mais je pense que ça te plairait.
J'ai trouvé ça très intéressant de voir ton usage des applications de rencontre car j'ai essayé plusieurs fois et ça n'a jamais vraiment marché pour moi mais je suis content si cela t'a fait du bien, c'est le principal après tout !
C'est surement plus facile avec les applis mais c'est vrai que ce que tu as laissé transparaitre de cette rencontre avec l'apprenti boucher avait l'air plutôt chouette à vivre, ça laisse de quoi espérer de nouvelles rencontres de ce style. J'espère en lire la suite très bientôt dans cette newsletter si tu décides de continuer ce thème d'écriture, j'en serai le premier ravi !
Bonne soirée à toi et merci pour ce bon moment de lecture !
Thibault
Merci de ce très joli partage d'expérience (et sincère). J'aime beaucoup le point sur la modularité des applications ce qui prouve - aussi - que l'amour(ette) peut tomber à peu près n'importe où. Le fait d'être plus alerte et de quelque part prendre le risque de "donner" également.