Conversation avec Clémence Rérolle, sexothérapeute
Sur la mémoire du corps, l'imaginaire érotique, les injonctions autour du sexe, les formats relationnels, le désir en couple et la communication au lit
Je m’appelle Louise, j’ai 27 ans et je vis à Paris. Dans ces newsletters à la fois intimes et documentées, je détricote les petits noeuds de mon cerveau. Et une fois par mois, je vous confie mes dernières recos culturelles.
⚠️ La dernière édition des recos est tombée dans les spams de certain·es. N’hésitez pas à la lire et à la déplacer dans votre messagerie principale !!
🕦 Temps de lecture : 30 minutes. Pour ne pas être coupé·e au milieu, n’hésitez pas à “voir dans le navigateur”, en haut à droite. Merci à Alexandre pour la relecture 💕
J’ai rencontré Clémence Rérolle en Février, par hasard à un atelier. Il se trouve qu’on se suivait mutuellement sur les réseaux et qu’une de mes amies, qui la consultait depuis quelques semaines, ne me disait que du bien de ses séances.
Je me suis rendu à notre premier café fatiguée et la tête pleine de questions irrésolues. Mais on s’est tout de suite parlé à coeur ouvert et notre discussion a dénoué plein de petits noeuds. 2 heures plus tard, je la quittais inspirée, sereine et ravie d’avoir rencontré une personne aussi sympa, solaire, fine, empathique et ouverte.
À ce moment-là, l’idée de parler de sexe dans cette newsletter me trottait dans la tête depuis des mois, mais un mélange de pudeur et de confusion me retenait. Clémence m’a tout de suite semblé l’interlocutrice idéale pour soulever le tapis et me débarrasser de mes idées préconçues sur le sujet, d’autant qu’on a presque le même âge - je me sentais de lui parler sans filtres. Elle a accepté et un mardi matin de Mars, on s’est retrouvées dans un joli café du 11ème. J’avais beaucoup trop de questions, mais Clémence a eu la patience et la générosité de répondre à chacune d’entre elles avec rigueur et subtilité.
Cette newsletter est la retranscription (relue et synthétisée) de notre échange, organisé en 3 parties :
Sur le métier et l’histoire de Clémence : sur le parcours de Clémence, le métier de sexothérapeute, la mémoire du corps, le vaginisme (⚠️ TW agression sexuelle) et la réappropriation de son corps.
Sur l’exploration de sa sexualité : sur l’infobésité et les injonctions autour de la sexualité, les fantasmes, la communication au lit, l’impact de la pornographie, les applis de rencontre et l’injonction à la pureté.
Sur le désir, le plaisir et la communication en couple : sur les “KPI” qui importent, les différents formats relationnels et comment gérer les fluctuations du désir en couple.
En fin de newsletter, vous trouverez aussi les recos de Clémence.
Son discours, parsemé de références et d’astuces pratiques, m’a semblé limpide, rassurant et inspirant. J’espère qu’il vous intéressera autant que moi ! 😊 PS : je parle d’un point de vue cis-hétéro, mais je pense qu’une partie des questions peut parler à tout le monde.
Pour en savoir plus sur la pratique de Clémence et/ou prendre rendez-vous avec elle, voici son site internet. Vous pouvez aussi la suivre sur Instagram et Linkedin, et écouter son très beau podcast dénudé·e·s par ici.
1. Sur le métier et l’histoire de Clémence
Sur le parcours pro de Clémence et le métier de sexothérapeute
Peux-tu me raconter ton parcours ?
Avec plaisir !! Je ne suis pas du tout issue d'un parcours en lien avec la médecine, la sexologie ou la psychologie. Après le BAC, je suis passée par un bachelor politique & économie en Angleterre et le master entrepreneuriat d’une école de commerce. Puis, j’ai travaillé dans une boîte où j’ai accompagné des entrepreneurs dans le recrutement de leurs équipes.
Ce premier boulot m’a fait découvrir un rôle très humain : je passais mes journées à rencontrer et écouter des gens, tant côté employeurs que candidats, pour faire le meilleur match-making humain et professionnel. Le recrutement m'a finalement beaucoup apporté et a nourri la future thérapeute en moi. Je devais comprendre le parcours d’une personne, son potentiel et ses aspirations et la guider vers un mieux-être dans sa vie pro. Un peu comme une coach.
Pour quelles problématiques est-ce qu’on vient te consulter, en général ?
Je dirais qu’il y a 4 portes d'entrée à la sexothérapie : des problématiques autour du désir (“je n’ai plus de libido, mon/ma partenaire n'a plus libido”…), du plaisir (“j'ai une sexualité mais je n’arrive pas à avoir du plaisir”, “je n'arrive pas à avoir d'orgasme”, “j'arrive à avoir un orgasme en solo, mais pas avec mon partenaire”…), du fonctionnement sexuel (problèmes érectiles, troubles de l’éjaculation…) et des douleurs physiques (douleurs à la pénétration).
Quelle est la différence entre sexologue et sexothérapeute ?
Aujourd’hui, en France, les titres de sexologue / sexothérapeute / sexologues cliniciens / psycho-sexologues ne sont pas réglementés. Mais en pratique, il existe des sexologues médecins et des sexologues non-médecins.
D’un côté, les médecins sexologues ont fait des études de médecine et exercent la sexologie exclusivement ou en complément d’une autre spécialité (gynécologie, urologie, médecine générale). Ils·elles se placent dans le champ de la médecine sexuelle, c’est-à-dire qu’ils·elles vont être très pertinent·es pour aborder la sexualité dans ses aspects physiologiques, somatiques, urologiques, gynécologiques et endocrinologiques. Ils vont aussi être à même d’examiner et de prescrire des médicaments - par exemple, ils peuvent prescrire des IPDE5 (viagra) à une personne souffrant de problèmes érectiles.
De l’autre, il y a les sexothérapeutes, sexologues cliniciens ou encore psycho-sexologues - les titres varient puisqu’ils ne sont pas réglementés - qui ont suivi une formation en sexologie mais ne sont pas médecins. Ils·elles abordent la sexualité de façon plus holistique, en prenant en compte les dimensions émotionnelle, psychologique, relationnelle, sociale ou culturelle. Pour reprendre l’exemple d’une personne souffrant d’un problème érectile, s’il n’y a pas de facteur physiologique expliquant son trouble (ex. âge, problèmes cardiovasculaires, diabète) le·la sexothérapeute va prendre en charge la cause psycho-émotionnelle de son trouble (ex. une anxiété de performance, une difficulté à se détendre dans l'intimité, une problématique relationnelle…)
Comment tu t’es formée à ce métier ?
Je me suis formée au Québec, où j’ai obtenu un certificat en santé sexuelle. Et aujourd’hui, en parallèle de mon activité, je continue à enrichir ma pratique. En ce moment, je me forme à l’École de Psycho Sexologie, auprès de Fabienne Barreteau, une psycho-sexologue qui a plus de 20 ans d’expérience clinique.
Ce que j’aime, c’est qu’elle a une formation très large : non seulement elle nous forme à la sexologie médicale, mais elle nous apprend à aborder les troubles sexuels et mésententes de couples avec une approche psycho-émotionnelle et beaucoup plus holistique. En effet, elle enseigne de nombreuses techniques comme l'hypnose, la sophrologie, la psychosomatique, la thérapie des schémas, la pleine conscience, l’EFT (Emotional Freedom Technique)… Bref, plein d'outils à ramener dans ma pratique !
As-tu toujours eu ce rôle de “la bonne oreille” qui donne des supers conseils ?
Je crois que j’ai plus été la “bonne oreille” que la copine qui donnait des conseils : plus jeune, je n’avais pas très confiance en moi et j’étais très loin de penser que mes conseils puissent avoir de la valeur.
En revanche, j’avais un monde intérieur assez développé et j’ai toujours été très observatrice. Je suis la sœur d’une fratrie de trois et j’ai toujours eu un rôle de confidente et de médiatrice. En cas de gêne ou de conflit, je suis celle vers qui on va se confier ou demander : “est-ce que tu peux parler de ça à ton frère ?”
Sur la mémoire du corps et le vaginisme (⚠️ TW agression sexuelle)
Quand as-tu commencé à t’intéresser à la sexualité ?
Je suis entrée dans ma vie sexuelle relativement tard comparé à mes amies - j’avais 19 ans lorsque j’ai eu ma première relation pénétrative. Une partie de moi ne voulait pas succomber à la pression de “le faire pour le faire”.
Les cinq premières années de ma vie sexuelle ont été jalonnées par beaucoup de douleurs lors de la pénétration. Mais je suis longtemps restée dans une errance gynécologique. Quand j’en ai parlé pour la première fois à ma gynéco, elle n’a pas pris le temps de comprendre et m’a donné des conseils absurdes : “détends-toi”, “change de partenaire”. Tout ça alors que j’étais très amoureuse et à l’aise avec mon corps. Je n’ai compris que bien plus tard que ces douleurs étaient liées à un trauma qui avait engendré un blocage en lien avec la pénétration.
À 22 ou 23 ans, j’ai parlé de mes douleurs à ma mère. Elle m’a dit qu’il ne fallait pas banaliser la chose et m'a orientée vers une super gynéco, qui m’a diagnostiqué d’un vaginisme. Elle m’a demandé si j’avais vécu une agression sexuelle, ce à quoi j’ai répondu par la négative… Tout en sentant que sa question remuait quelque chose de mon passé, longtemps laissé sous silence.
En sortant du rendez-vous, j'ai eu le flashback d'un viol que j'ai vécu à 15 ans, pendant un voyage en Australie. Lors d’une soirée, un garçon m’a pénétrée avec son doigt malgré plusieurs tentatives d’enlever sa main de ma culotte. Pour rappel, un viol se définit par une pénétration non consentie, qu’il s’agisse d’un sexe, d’un doigt ou d’un objet. À l’époque, je n’avais pas mes règles, je ne m’étais jamais masturbée et mon sexe était un terrain complètement inconnu pour moi. Je n’avais pas non plus l’éducation sexuelle nécessaire pour mettre des mots sur ce qu'il s’était passé ou sur le concept du consentement. Je n’ai pas du tout compris ce qu’il m’arrivait. J’ai réussi à m’extirper de son emprise et j’ai fondu en larmes dans les bras de ma correspondante australienne.
À la suite de cette agression, pour y survivre, j’ai occulté le fait de n’avoir pas été consentante, et même sublimé l’événement en me racontant qu’il s’agissait simplement de ma première expérience sexuelle. Quand j’en ai parlé à mes copines, à la rentrée, j’en parlais simplement comme de “ma première expérience sexuelle”.
Aujourd’hui, du fait de mon métier, je sais que le phénomène de dissociation traumatique est très commun chez les personnes victimes de violences sexuelles, et je comprends que j’étais alors complètement dissociée. C’est incroyable ce que le corps et le cerveau mettent en place pour faire face à un grand niveau de stress et de violence. Quelque part, ça m’a permis de “ne plus penser” à cet événement et d’avancer… Jusqu’à ce que j’entre dans ma vie sexuelle et que je ressente des douleurs à la pénétration.
Que s’est-il passé après ce flashback ?
La gynéco m’a orientée vers un sexologue pour aborder le trouble sexuel et une kiné périnéale pour une rééducation de mon périnée. En plus d’avoir fait un bon bout de chemin de mon côté en identifiant le trauma - à la source de mes douleurs, j’ai eu la chance d'être très bien accompagnée :
Le sexologue m’a parlé de “mémoire du corps”, un concept qui m’a permis de comprendre que cet événement avait été traumatique pour mon corps. Malgré l’histoire que je m’étais racontée, mon corps s’en rappelait. Au niveau somatique, cela créait une contraction réflexe et involontaire des muscles du périnée à chaque tentative de pénétration (qu’il s’agisse d’un pénis, d’un doigt ou d’un tampon), ce qui rendait la pénétration quasi impossible et engendrait de grosses douleurs.
Le vaginisme s’explique souvent par une agression sexuelle ?
Le vaginisme correspond à une contraction réflexe involontaire des muscles du périnée, c’est-à-dire des muscles entourant le vagin, l’urètre et l’anus.
Cette contraction réflexe peut être causée par un événement traumatique et douloureux, comme une agression sexuelle ou un accouchement qui s’est mal passée.
Mais elle peut aussi être liée à une éducation négative autour de la sexualité qui génère une vraie peur de la pénétration, par exemple lorsqu’on a toujours entendu que la pénétration faisait très mal ou qu’une femme doit se préserver et rester “vierge”. On peut aussi souffrir d’une sorte de dysmorphophobie et avoir l’impression que “ça ne va jamais rentrer”, une représentation qui crée ensuite un cercle vicieux.
Il existe autant de vaginismes que de personnes qui en ont ! Pour mieux comprendre les complexités de ce trouble, je recommande le livre Vaginismes d’Angela Bonnaud et Margot Maurel.
Sur la réappropriation de son corps et de son imaginaire
La prise de conscience du lien avec cette agression a-t-elle suffi pour ne plus ressentir ces douleurs ?
La notion de “mémoire du corps” m’a permis de comprendre l’origine “psychosomatique” de mes douleurs, c’est-à-dire que mon corps réagissait ou somatisait suite à un trauma qui avait laissé des traces psychiques. Mais cela n’a été que la première étape.
Ensuite, j’ai appris à me réapproprier la pénétration à mon rythme, notamment grâce à un spéculum que m’a donné le sexologue médecin. A posteriori, je me dis que cet objet faisait très médical et pas très glamour, mais je m’en suis fait un allié pour re-découvrir mon sexe sans douleurs.
Aujourd’hui, on trouve sur Passage du Désir, Périnée Shop ou encore Bivea des “dilatateurs vaginaux” qui servent cette même fonction, mais qui ont l’avantage de faire moins peur qu’un spéculum... Concrètement, l’objectif avec le spéculum était que j’apprenne à l’insérer très progressivement en ayant toujours le contrôle sur la taille, le rythme, la pénétration. Et que je puisse ainsi, avec le temps, y associer moins de douleur et peut-être plus de plaisir.
Paradoxalement, c'est ma kiné périnéale qui m’a fait de la psycho-éducation autour de la sexualité. Elle m'a parlé de plaisir, de libido, de désir, m’a aidée à déconstruire ma vision hétéronormée de la sexualité en me décentrant de la pénétration et de la vision très “entrée-plat-dessert” du sexe hétéronormatif. Enfin, elle m’a expliqué comment le mouvement de mon corps et la respiration pouvaient accompagner une pénétration, afin que celle-ci ne soit pas douloureuse.
Heureusement qu’elle était là ! Elle m’a appris à créer une connexion érotique entre ma tête et mon corps. J'ai commencé à regarder des films, écouter des podcasts érotiques, fermer les yeux et faire travailler mon imaginaire… C’était l’été, je n’étais plus en couple et j'avais accès à une solitude propice à l'exploration de mon univers érotique via des séances de masturbation finalement très thérapeutiques !
Ça a porté ses fruits très rapidement : à la fin de l'été, j’ai eu mon premier rapport pénétratif non douloureux. Je n'en tirais pas encore de plaisir, mais au moins les douleurs avaient disparu.
Le plaisir était l’étape d’après ?
Assez vite, je me suis mise en couple avec un mec en qui je faisais confiance et à qui j’ai tout raconté. Jusque-là, j’avais toujours eu en tête un script sexuel bien précis : pour satisfaire un mec, il fallait lui faire une fellation, passer par la pénétration… Ce qui me faisait culpabiliser, parce que je ne pouvais pas “offrir ce plaisir-là” à cause de mes douleurs.
J’ai mis du temps à mettre mon plaisir en priorité. Mais à ce moment-là de ma vie, j’ai commencé à me dire que la sexualité ne se résumait pas à faire plaisir à l'autre. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut nier le plaisir de l'autre, mais apprendre à s’ancrer dans son corps et à s’écouter. J’ai aussi compris que plus tu prends du plaisir pendant le sexe, plus tu as envie de sexe.
C’est sûr. J’ai toujours été ravie, sans exception, de me faire masser ou cuisiner un petit plat par quelqu’un qui sait bien s’y prendre !
Oui ! Globalement, plaisir et désir vont de pair. Ce qui explique pourquoi, quand on traverse une période avec une sexualité un peu routinière dans laquelle on prend peu de plaisir, on en a de moins en moins envie. En général, le fait de trouver du plaisir va stimuler le désir.
Et avec mon copain de l’époque, notre plaisir à tous les deux était une priorité. Entre nous, il y avait un vrai climat d’écoute, de confiance, de tendresse et d’empathie. Ça nous a permis de trouver un vrai espace d’exploration !
2. Sur l’exploration de sa sexualité
Sur l’infobésité et les injonctions autour du sexe
On entend beaucoup parler de formats relationnels alternatifs ou de pratiques moins conventionnelles. Je trouve certains témoignages tentants et excitants, et ça me donne parfois un peu l’impression de passer à côté de ma vie sexuelle ! Comment faire la part des choses entre FOMO et véritable envie ?
Clairement, on vit une sorte d’infobésité sexuelle ! Ce qui est génial, car c’est le signe que d’autres formes de sexualité se démocratisent. Le libertinage, le polyamour, les relations ouvertes sont beaucoup moins invisibilisés... On assiste à une ouverture à la diversité des orientations sexuelles, des identités de genre, des pratiques et des formats relationnels.
Et c'est vrai que dans tout ça, on peut être amené·e à se demander : et moi c’est quoi le modèle auquel j’aspire ? À quoi je m'identifie ? Quelles pistes j'ai envie d'explorer ?
Aujourd’hui, j’ai pu avoir accès à des témoignages de polyamour, d’échangisme, de BDSM, de soirées libertines, de tantrisme, de plan à 3 ou plus…
Souvent, je me dis “tiens, why not ?”. Et en même temps, le fait est que je me conforme naturellement au script hétéro, exclusif et conventionnel, dans lequel je me sens plutôt épanouie. C’est peut-être juste ma curiosité qui parle ?
D’abord, il n’y a aucune injonction à tout tester. C’est une histoire de tempérament : certains éprouvent un désir profond et viscéral d’explorer. Dans mon podcast, j’ai interviewé une nana géniale qui est passée d'une vie hétéronormée conventionnelle à la découverte de sa pansexualité, drivée par le besoin de multiplier les expériences sexuelles, érotiques et sensuelles.
Mais ce n’est pas le cas de tout le monde, et ce n’est pas parce qu’on a accès à tout qu'on est obligé·e de tout tester !
Et puis, même s’il est intéressant d’interroger la monogamie et nos scripts hétéronormés, de comprendre d’où ils viennent, il se peut que cela fasse effectivement partie de notre érotisme. Et c’est ok d’aimer ça.
Sur les fantasmes et l’imaginaire érotique
Est-ce qu’avoir un fantasme veut toujours dire qu’on va aimer qu’il se réalise ?
Le fantasme est une fenêtre sur notre imaginaire. Beaucoup de femmes ont des fantasmes de viol liés au fait d’avoir grandi dans une société patriarcale qui a inscrit la soumission de la femme dans nos imaginaires. On peut être féministe et fantasmer sur le fait d’être totalement dominée par un mec lors d’un acte pas tout à fait consenti, cela ne signifie pas qu’on a envie de se faire violer dans la vraie vie. C’est un sujet de honte pour beaucoup de femmes, alors j’insiste :
Premièrement, nos fantasmes n’ont pas nécessairement vocation à se réaliser.
Deuxièmement, la sexualité est un terrain de jeu, un espace idéal pour explorer pour explorer différents pans de nous-même, qu’importe nos convictions politiques et nos revendications sociales. Tant que nous sommes consentants et respectueux de nos désirs et de ceux de l’autre, pourquoi ne pas l’explorer ?
Ceci dit, il est parfois utile de se demander : “Pourquoi suis-je excité·e par ce scénario ? Qu’est-ce que j’aimerais et pourrais reproduire dans la vraie vie ?”
Si on a ce fantasme de viol, c’est peut-être que l’on est excité·e par un rapport de domination-soumission qu’on peux aller chercher dans une relation consentante. L'univers du BDSM permet d’aller explorer ça avec des contrats très explicites : qu'est-ce que j'accepte de donner et recevoir ? Quel est mon safe word ?
Pareil pour les fantasmes de transgression ! Et bien sûr, on peut y aller pas à pas. Avant de pousser la porte d’un club libertin, on peut commencer par faire l’amour dans la cuisine au lieu de la chambre à coucher. Pour certain·e·s, c’est déjà très transgressif !
On m’a demandé s’il était nécessaire de pratiquer la masturbation. Qu’est-ce que tu en penses ?
La masturbation peut avoir plein de vertus et c’est important d’en parler. Personnellement, cette pratique m’a accompagnée dans la découverte de mon corps, de ma sexualité et de mon plaisir.
Mais rien n’est obligatoire et aujourd’hui, ça fait aussi partie des injonctions qu’on reçoit autour de la sexualité. Récemment, une amie m’a dit se sentir anormale parce qu’elle n’aimait pas ça - et moins par gêne que parce qu’elle aime le sexe partagé. C'est ok, tu peux tout à fait découvrir ton corps dans la relation à l'autre.
Cela vaut aussi pour l’injonction à acheter un sextoy. Plein de gens en achètent en se disant “j’ai besoin d’un sextoy pour avoir une sexualité épanouie”… Puis, ils l’utilisent deux fois et l’oublient dans un tiroir. Si les sextoys peuvent venir amplifier le plaisir, tout le monde ne trouve pas ça excitant.
Sur la communication (non violente) au lit
Sans doute comme beaucoup de femmes, j’ai longtemps priorisé le plaisir de l’autre. Mais en parallèle, j’ai assisté à une vraie libération de la parole autour de la sexualité et aujourd’hui, la conscience que le plaisir féminin a été largement relégué au second plan dans les scripts sexuels m’accompagne dans toutes mes expériences. Je suis désormais attentive à ce qu’il y ait une équité sur ce plan - en plus de venir d’une famille où l’on compte les pâtes !
De par cet historique et mon tempérament plutôt cash et impatient, il m’est arrivé sans le vouloir d’avoir des remarques stressantes ou blessantes pour mon partenaire, à des moments où je me sentais lésée. Aurais-tu des tips pour mieux communiquer au lit ?
Ça peut être très difficile de dire à quelqu'un : “en ce moment, je prends moins de plaisir dans notre sexualité”. Il y a toujours le risque de blesser la personne qui pourra le percevoir comme un échec. Ce n’est pas pour rien que tant de couples évitent d’en parler !
En revanche, ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas en parler. Bien au contraire ! Combien de couples s’ennuient dans leur sexualité, mais n’osent pas se le dire. Combien de femmes hétérosexuelles fakent l’orgasme ou dissimulent leurs douleurs…
La première chose, c’est de mettre la forme. La communication non violente, qui permet d’exprimer ses propres besoins et émotions plutôt que de faire des reproches à l'autre, peut être une solution.
Ensuite, il peut être plus facile d’en parler hors du contexte de la sexualité, où ça peut sembler très vertigineux. Ce que je conseille en général, c’est d’aborder la sexualité comme un sujet de couple comme un autre. Et puis, quand c’est possible, de revenir sur le positif pour faire passer le message :
Ah tiens, je voulais te parler d'un truc : la dernière fois qu'on a fait l'amour, j'ai adoré quand tu as fait ça…
Si on y arrive, guider l’autre pendant le moment d’intimité peut aussi s’avérer très utile :
Attends, est-ce que tu peux me toucher plus par-là / relâcher la pression ici ?
Et si la personne se vexe, ne pas hésiter à faire une pause et à demander :
J'ai le sentiment de t'avoir vexé·e, qu'est-ce qui se passe ? Tu sais, c'est normal que je ne connaisse pas bien ton corps et que tu ne connaisses pas bien le mien, même après X années. Il n'y a aucune honte à se faire du feedback. Viens on en parle !
Haha trop bien, comme ça j’ai le wording précis !
Le mieux, c’est d’essayer d’ouvrir un dialogue dès le début de la relation. Comme ça, si on a envie de tester de nouvelles pratiques après 1, 3 ou 5 ans, la conversation existe déjà. Et à la question “t'as joui ?”, il vaut mieux répondre “non” que rentrer dans un mécanisme de mensonge :
Non, honnêtement, j'ai pas joui / en fait, j'ai du mal à atteindre les orgasmes avec quelqu’un mais j'arrive à m'en donner, donc la prochaine fois je peux peut-être te guider ?
Beaucoup d’hommes, notamment hétéros, associent la sexualité à leur virilité. De leur côté, beaucoup de femmes vont se dire qu’elles ne sont “pas bonnes au lit”, “pas un bon coup”… Si ça arrive, il est important de désamorcer cette pression de performance, en disant par exemple :
Attends, il n’y a aucun enjeu de performance, le but c’est juste de prendre du plaisir tous les deux. Et c'est normal de pas arriver à se donner du plaisir systématiquement, on a des corps très différents et c'est un terrain de découverte. C'est trop cool non ?
Sur l’impact du porno
Adolescente, ma curiosité vis-à-vis de la sexualité m’a fait atterrir sur les sites porno mainstream. J’y ai découvert certaines pratiques et différents univers érotiques, mais ces images m’ont globalement mis de vieux schémas dans le crâne : brutalité des gestes, violences et humiliations exercées sur les actrices, omniprésence de la pénétration, corps irréalistes, interactions artificielles…
Plus tard, j’ai découvert une pornographie alternative, féministe et éthique, beaucoup plus réaliste et créative. Mais je me demande : est-ce que ça existe, une pornographie qui soit “vertueuse” pour ses consommateur·ices ? (Sans même parler des enjeux éthiques de cette industrie) Est-ce que le porno n’entrave pas toujours l’imagination ?
C’est un débat complexe. La pornographie n’est pas bonne ou mauvaise en soi et je n’ai pas de réponse tranchée. D’un côté, le porno mainstream peut donner une idée fausse, violente et restreinte de la sexualité, avec des normes de beauté irréalistes, des normes de genre très limitatives, des scripts sexuels phallocentrés et hétéro-normatifs… Le porno est toujours à aborder avec beaucoup d’esprit critique.
De l’autre, la pornographie peut être un moyen de stimuler son imaginaire érotique et un support intéressant pour accompagner la masturbation. Et certaines formes de porno se soucient d’innover dans la manière de penser la sexualité et d’intégrer les plaisirs & fantasmes de tous·tes.
Le problème, c’est quand tu as 11 ans et que tu es exposé·e à des premières images pornographiques dans un contexte où tu n’as accès à aucune éducation à la sexualité à l’école ou à la maison. Ces images peuvent choquer, dégoûter, ou exciter en faisant culpabiliser…
Pour le coup, c’est une industrie qui continue de grandir exponentiellement et le débat sur son interdiction me semble stérile. Je pense qu’il faut avant tout outiller les jeunes pour qu’ils comprennent les risques de la pornographie et ne restreignent pas leur sexualité à ça, sans pour autant la diaboliser.
Un des risques est de développer une addiction à la pornographie : à force de se masturber sur un support qui crée chez toi une excitation immédiate très forte, un effet de tolérance peut se créer. Résultat : on ne peut plus être excité·es que par ça, et on a besoin de supports toujours plus excitants. Là, ça devient pathologique et il devient important de se désintoxiquer et de renouer avec un imaginaire érotique singulier et réaliste.
À part ça, je ne déconseille pas le porno à partir du moment où il est consommé en conscience, avec recul et esprit critique. On peut se demander “qu’est-ce que je viens chercher ?”, “qu’est-ce que je regarde ?”, “est-ce que les acteur·ices sont bien traité·es ?”, “quels sont les fantasmes que je veux vraiment explorer ?”.
Le porno audio est souvent perçu comme un bon compromis, souvent réalisé avec une perspective féministe, inclusive et éthique, qui va stimuler tes fantasmes sans empiéter sur ta capacité d’imagination. Avec l’audio, c’est toi qui imagines le lieu, les personnages, les corps… L’audio permet d’introduire sa propre réalité. Si tu télécharges une appli, tu peux aussi la configurer pour avoir accès à une sélection personnalisée qui ne va pas t’imposer des images dont tu n’as pas envie. Enfin, l’audio laisse le temps de faire monter le désir de façon organique, alors que l’image va venir accélérer ton excitation sexuelle de façon mécanique et incontrôlable.
Sur les applis de rencontre et l’injonction à la pureté
Quand je me suis inscrite sur une appli de rencontre l’été dernier, je me suis soudain retrouvée avec plein d’opportunités de coucher avec des mecs. À ce moment-là, je me suis sentie tiraillée entre l’envie de m’amuser et d’explorer d’une part, et de l’autre la peur de devenir l’incarnation de la “fille facile”, plus ou moins stigmatisée selon le milieu où l’on évolue.
S’ajoutait à ça la crainte de désenchanter mon rapport à la sexualité. Mais je n’arrivais pas à savoir s’il s’agissait d’une préoccupation authentique ou d’une simple variante de cette peur du jugement, avec un vernis moins rétrograde. Qu’en penses-tu ?
En fait, j’ai l’impression que ces deux peurs procèdent de l’injonction à la pureté, inscrite dans une éducation judéo-chrétienne qui enjoint les femmes à garder leur corps vierge pour l’homme de leur vie. Dans notre société patriarcale, on est sans cesse renvoyé aux archétypes de la madone et de la putain. Multiplier les relations et les partenaires reviendrait à dégrader cette pureté. Mon avis, c’est d’abord de déconstruire ces croyances.
Ceci étant dit, je nuancerais en disant que si pour toi, la notion de sacré est importante, c’est ok. Mais je te pousserais à te demander ce que tu mets derrière, parce que la notion de sacré peut vouloir tout et rien dire. Est-ce que c’est une question d’engagement, de sentiments, d’intensité de la connexion à soi et à l’autre, de plaisir partagé ?
Quand on pense “applis de rencontre”, on pense “consommation des corps”. Mais avoir plusieurs partenaires n’est pas indissociable avec le respect de soi et de l’autre. La notion de “sacré” ne se mesure pas forcément au temps passé avec l’autre, au format de la relation ou au nombre de partenaires, mais à la qualité du moment passé selon tes propres critères. On peut vivre des moments très sacrés, précieux, beaux ou poétiques dans d’autres formats que celui du couple monogame.
3. Désir, plaisir et communication en couple
Sur le seul KPI qui importe : le plaisir
Parfois, j’ai l’impression que l’injonction à “briser la routine” nous stresse autant que la routine en elle-même. Pourquoi devrait-on constamment réinventer la roue dès qu’on est deux ?
Il existe clairement une injonction à innover, tout comme il faudrait faire l’amour une fois par semaine pour “maintenir la flamme”. Mais aucune sexualité ne se ressemble et je suis contre n’importe quel mode d’emploi. Certains couples ont besoin d’innover, d’autres aiment leur routine !
Emily Nagoski, une sexothérapeute que j’adore qui a notamment écrit le livre Come as you are (version française ici), rappelle constamment qu’en matière de sexualité, on fait attention aux mauvaises metrics, aux mauvais KPI (key performance indicators) : la fréquence de nos rapports, notre capacité d'innovation, la fréquence de nos orgasmes… Alors que l'unique KPI qui soit valable, c'est le plaisir.
Si tu te masturbes toujours de la même manière et que tu ne ressens pas le besoin de changer : trop cool. À l’inverse, si tu t’en lasses, il peut être bon d’explorer. Et au sein d’un couple, il arrive que la sexualité devienne lassante car certains scripts sexuels se mettent en place sans forcément satisfaire tout le monde. À ce moment-là, il peut y avoir un besoin d’innover, toujours en gardant le consentement et la recherche du plaisir en tête.
Ce besoin d’explorer, c’est aussi une histoire de personnalité. Moi, par exemple, j’ai un grand besoin de sécurité émotionnelle et de confort, mais j’aime aussi tout chambouler. C’est aussi le cas dans ma vie professionnelle : je suis quelqu'un qui aime tester et explorer.
Ensuite, tout le monde ne tire pas son érotisme de la même chose. Il peut s’agir de scripts, de jeux de rôles, de relation de domination / soumission, de fétichisme, de bougies, de musique, de massage, de connexion avec l’autre, de se lécher les pieds ou se sucer les doigts, de fusion ou au contraire de distance… Certains vont être excités à l’idée d’introduire un sextoy dans l’intimité, d’autres pas du tout. Certains vont adorer la pénétration, tandis que d’autres vont aimer dégénitaliser le rapport et plutôt explorer des jeux de rôles, des pratiques non-pénétratives ou stimuler des zones érogènes non-génitales.
Bref, tout ça est très personnel. Le plus important, c’est de comprendre d’où on tire son plaisir et d’arriver à l’exprimer à son·sa partenaire, sans qu’il·elle ne se sente agressé·e ou culpabilisé·e.
Sur les différents formats relationnels
Quand j’ai évoqué notre interview sur Instagram, la question du couple ouvert est beaucoup revenue dans mes DMs. Plein de gens semblent intrigués, tout en se demandant si c’est réaliste. Tu connais des couples pour qui ça a marché ?
J’ai des patients et patientes pour qui le polyamour a été salutaire. Perso, je suis monogame, mais je trouve que philosophiquement c’est un format hyper intéressant ! Dans sa BD Les sentiments du prince Charles, Liv Stromquist rappelle que l’injonction à la monogamie date surtout de l’émergence des religions monothéistes, de la révolution de l’agriculture et de l’essor d’une société sédentaire. En plus, notre vision du couple hétérosexuel provient d’une société patriarcale dans laquelle la femme a longtemps été la propriété de l'homme. Le polyamour permet donc à de nombreuses personnes de challenger cette vision et de se libérer de pas mal d'injonctions.
Mais il ne faut rien idéaliser pour autant. Que tu sois polyamoureux·se ou monogame, tu risques toujours d’être confronté·e à la jalousie, à la peur de perdre l'autre, à la dépendance affective. Être polyamoureux n’est pas synonyme de “tout va bien dans le meilleur des mondes” !
Quel que soit le format relationnel que l’on choisit, le plus important est d'être OK avec soi-même, ses besoins et ses limites. Si on est plutôt insécure, jaloux et dépendant affectivement, ce n’est sans doute pas le moment de se tourner vers le polyamour. Personnellement, ce format m’attire intellectuellement : j’ai beaucoup d'amour à donner, j’aimerais déhiérarchiser mes relations et ne pas mettre sur les épaules de mon partenaire de vie la pression d’être tout pour moi. Pour autant, je suis aujourd’hui très épanouie dans le couple à deux et je ne pense pas vouloir assumer la charge affective d’autres relations amoureuses.
En ce moment, j'ai une patiente bisexuelle qui aurait envie d’ouvrir son couple, mais son copain est dans un registre plus monogame. Tout l’enjeu est d’arriver à en parler à ce dernier sans le blesser, en lui montrant que c’est plus un signe d’amour et de confiance pour elle. Mais le tout est de trouver un alignement en prenant en compte que cette ouverture relationnelle puisse être insécurisante pour son copain.
Est-il vraiment possible de travailler sur sa jalousie et sa possessivité, ou est-ce un combat perdu d'avance ? N’est-il pas plus réaliste de s’accepter comme on est, avec ses limites et ses fragilités ?
Je me poserais d’abord la question de l'intensité de la jalousie ? Si c’est une jalousie douloureuse, handicapante, symptomatique d’un vrai manque de confiance en soi et en l’autre, il se peut qu’il s’agisse d’une jalousie pathologique qui provienne moins de la relation que d’une croyance ancrée et personnelle qu’on ne mérite pas d’être aimé·e et désiré·e, par exemple. À ce moment-là, se faire accompagner par un·e psy peut soulager.
Mais la jalousie n'est pas forcément pathologique et il est important d’accepter qu’on peut être jaloux. Empiriquement, j'ai toujours vu un peu de jalousie chez mes patient·es. Quand l’émotion survient, je conseille plutôt de ne pas lutter contre, de se poser et se demander ce qui nous insécurise. Puis, d’en parler à l’autre pour éviter que le sentiment ne s’amplifie :
Je préfère t’en parler : je suis jaloux·se, ce qu’il se passe réveille ma jalousie.
Bien sûr, ce n’est pas facile à dire et on a souvent tendance à se braquer. Mais en le gardant pour soi longtemps, on risque de glisser dans le passif-agressif ou de laisser un malentendu créer une véritable mésentente de couple à terme. Alors qu’en parler donne l'opportunité à l’autre de nous rassurer, d’adapter un peu son comportement pour ne pas déclencher cette jalousie et de conscientiser et travailler sur ses propres insécurités.
Sur les fluctuations du désir en couple
Comment gérer une grosse différence de libido en couple ? La baisse de désir dans le couple est-elle une fatalité après plusieurs années de vie de couple ? Existe-t-il des façons de la réveiller ?
Il est important d’accepter que notre désir va fluctuer tout au long de notre vie au gré des changements physiques, professionnels, familiaux et conjugaux. Et puis, tous les couples traversent des difficultés, des mésententes, des non-dits qui impactent le désir.
Pour expliquer le fonctionnement du désir sexuel, on parle du “modèle à double contrôle”. Emily Nagoski, dont on a parlé tout à l’heure, l’a démocratisé en comparant le désir à une voiture dotée de freins et d’accélérateurs.
Pour la plupart d’entre nous, le stress et la fatigue sont des freins qui vont inhiber le désir sexuel… Même si les accélérateurs sont là. On a beau se sentir attiré·e par son·sa partenaire, ça va être compliqué de créer un moment propice à l’intimité si on a la tête prise par sa to-do list, sa réunion du lendemain, les difficultés scolaires de ses enfants ou un conflit sous-jacent avec son·sa partenaire. Il est aussi fréquent que la sexualité passe au second plan pour des raisons très banales : on doit promener le chien, aller chercher les enfants à la crèche, gérer le dîner…
Il est donc normal que le désir fluctue. La première question à se poser, c'est : 1) à quel point ça me fait souffrir ? Et puis, si on se sent en détresse vis-à-vis de ça : 2) qu’est-ce qui freine cette intimité ? Du stress ? De la fatigue ? Une frustration vis-à-vis de son partenaire ?
Comme souvent, la communication est la clé. Si ça fait huit mois qu'on n'a pas fait l'amour et qu’on en souffre, mettre le sujet sous le tapis ne va pas aider. Il vaut mieux poser la question :
Écoute, c'est vrai que ça fait longtemps qu'on n'a pas fait l'amour, est-ce que ça te manque, toi ?
L'autre sera peut-être d’accord… Ou vous répondra “bah non, tu sais le plus important pour moi ce sont les moments que je passe avec toi !”.
C’est sûr, on parle beaucoup du sexe comme “le nerf de la guerre”. Mais ce n’est peut-être qu’une injonction de plus ?
Il y a des gens pour qui la sexualité est juste un bonus dans la vie, ce qui n’est pas du tout pathologique. Il existe aussi des personnes asexuelles. Pour d’autres, la sexualité est fondamentale dans une relation. Dans ce cas, c’est important de l’accepter, de prendre le sujet au sérieux et de maintenir ce dialogue.
Dans ses conférences, Esther Perel (star de la thérapie de couple) insiste sur l’importance de l’indépendance dans le maintien du désir. Tu la rejoins sur ce point ?
Pour Esther Perel, le désir correspond à l’envie de clore l’espace entre moi et l'autre. Le désir naîtrait donc de cette distance, de cette altérité qui persiste entre moi et l'autre. Or la tendance d'un couple moderne, romantique et monogame, est plutôt de fusionner pour ne former plus qu'un. On ne dit plus “je” mais “nous”, on ne voit plus ses copains seul·e… Cette fusion ne serait donc pas la meilleure amie du désir.
Sa thèse, c’est que nous sommes tous mu·es par deux besoins essentiels et paradoxaux. D’abord, un besoin de sécurité, de confiance, de stabilité, de proximité… De l’autre, un besoin d’aventure, de surprise, de renouvellement, de mystère, de risque. Pour beaucoup de gens, voir l’autre en train de s'épanouir dans toute son altérité et son indépendance est très attirant - “j'ai envie de toi parce que je ne t'ai pas complètement”.
Encore une fois, certains vont avoir besoin de plus sécurité que d’autres, et inversement. Disons que c’est un spectre !
Concrètement, comment on fait pour entretenir cet espace ? On continue à faire des activités de son côté, à voir des copains sans l’autre ?
L’idée est de se décentrer du couple avec des activités qui te permettent de développer ton univers et de jouir de cette indépendance.
Parfois, dans un couple, le sentiment d’être trop en fusion peut devenir oppressant pour l’un. On peut aussi avoir le sentiment de ne pas avoir l’espace d’exprimer ses désirs. Dans ce cas, l’expliquer peut être une bonne idée :
Je te trouve encore plus attirant·e quand j'ai le sentiment que tu n’as pas besoin de moi. Ça ne veut pas dire que je veux que tu arrêtes d'être là et de répondre à mes messages, car je chéris cette sécurité émotionnelle, mais j'ai aussi besoin que tu me laisses l’espace de te désirer.
Il arrive aussi qu’une femme ressente moins de désir que son partenaire, et que cela devienne un objet de pression pour elle. À ce moment-là, il peut être aidant d’en parler pour réajuster cet équilibre. C’est très difficile d’en faire l’aveu, mais la solution peut être de dire à l’autre :
Je t’aime, mais j'ai besoin de ne pas sentir cette pression pour me reconnecter à mon désir.
Ça me parle, je peux trouver un peu oppressant de sentir une envie tout de suite sexuelle de la part de l’autre. J’ai l’impression que ça ne me laisse pas le temps d’éprouver mon propre désir.
Ça rejoint un point hyper important : il faut de l'intimité non sexuelle dans une relation. Et souvent, quand on sent que le désir s’étiole, la sexualité devient l’objet de focus n°1 - “il faut absolument qu’on fasse l’amour parce que là, ça fait un mois”. Cela risque de créer encore plus de pression et de déconnexion.
Pour prendre le contrepied de ça, il est utile d’accepter de vivre des phases de relative abstinence sans se juger et de chercher à retrouver une intimité plutôt non sexuelle, pour désamorcer la pression de la sexualité. Regarder un film, prendre une douche ensemble, se faire un massage, se préparer un bon dîner… Tout ça peut contribuer à créer un état de relaxation propice à l'émergence du désir.
Je crois que j’ai fait le tour. Un immense merci Clémence !!
Depuis cette matinée de la fin de l’hiver, les réponses de Clémence ont infusé. Il serait difficile de résumer la richesse de ce témoignage très dense, ainsi que tous les déclics et conseils pratiques que j’en retiens. Une chose est sûre : j’ai l’impression d’avoir aujourd’hui une vision plus globale, nuancée, libre et apaisée de la sexualité. Cet échange a ancré en moi l’idée que le plaisir est le seul critère valable pour qualifier un rapport de “réussi”. Et qu’il existe, pour l’éprouver, autant de chemins que d’individus.
J’espère que cet entretien vous a plu et été utile. Si oui, n’hésitez pas à nous le faire savoir !! Pour en savoir plus sur la pratique de Clémence et/ou prévoir une consultation avec elle, rendez-vous sur son site internet. Vous pouvez aussi la suivre sur Instagram et sur Linkedin, et écouter son podcast Dénudé·e·s par ici.
Les recos de Clémence ❤️
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Les joies d’en bas : tout sur le sexe féminin, d’Ellen Støkken Dahl et Nina Brochmann
Apprendre à faire l’amour, d’Alexandre Lacroix
L’intelligence érotique : faire revivre le désir dans son couple, d’Esther Perel
Je jouis comme je suis : guide pour une sexualité féminine épanouie, d’Emily Nagoski
Les sentiments du prince Charles, de Liv Strömquist
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T’as les lèvres de qui, Patricia Houle
Travaux manuels : recueil de nouvelles érotiques, sous la direction de Stéphane Dompierre
Désirer, recueil de 6 nouvelles érotiques d’Emma Becker, Wendy Delorme, Joy Majdalani, Emmanuelle Richard, Marina Rollman et Laurine Thizy
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